Comme chaque midi, le self du lycée Charles de Secondat empestait la friture. Loin d'incommoder les pauvres narines pourtant innocentes des adolescents rassemblés là, cela semblait leur ouvrir l'appétit.
En effet, tous faisaient impatiemment la queue dans l'espoir d'obtenir leur portion de malbouffe avant que celle-ci ne soit en rupture de stocks, ce qui — ô rage, ô désespoir ! — signifierait qu'ils se verraient contraints d'ingurgiter des carottes. Or les carottes, ça rend aimable et c'est bien connu, un adolescent fait toujours son maximum pour être à l'opposé d'aimable.
Cela expliquait donc pourquoi la majorité des élèves rassemblés dans ce réfectoire tenaient davantage d'animaux sauvages que d'élèves, à se bousculer, brailler, hurler, s'envoyer de la nourriture sur le visage...
Enfin bref, tout cela pour dire que ce jour-là, le réfectoire ressemblait à un véritable capharnaüm. Les assistants d'éducation présents avaient, comme à l'accoutumée, pris soin d'enfoncer leur boule quiès et d'apposer leurs œillères.
Car s'ils les ôtaient, ils se verraient contraints de faire leur travail, or il n'y avait rien de pire à leurs yeux que de devoir... travailler. Brrr ! Rien que ce mot les révulsait.
Pourtant, en dépit du brouhaha ambiant, tout le monde entendit la claque retentissante que Tricia Omani, élève de 2nd3, administra à son petit-ami, suivie des merveilleux mots d'amour qui l'accompagnèrent :
— Tu n'es qu'une espèce d'enfoiré, Mattéo Belcore !
Un silence aussi pesant que celui d'une morgue s'installa dans la salle. Tous étaient à présent aux aguets ; leur curiosité malsaine avait été piquée, et même les surveillants avaient ôté leurs bouchons d'oreille afin d'écouter ce qui allait suivre.
Il faut dire que la dernière fille ayant osé gifler de la sorte le bad boy du lycée avait disparu dans de mystérieuses circonstances... Donc pas étonnant que tout le monde s'inquiétât ou, plutôt, se demandât ce qui allait advenir de Tricia après un tel affront.
Mattéo mit quelques minutes avant de réagir, le temps de finir de mâcher sa bouchée de steak —il y avait des priorités dans la vie, après tout. En plus, il s'agissait d'un steak particulièrement caoutchouteux, vous voyez, le genre hyper difficile à avaler.
Une fois qu'il eut dégluti, le bad boy se leva très lentement, conservant la tête baissée dans une posture visant à imiter celle de Sasuké — son idole en terme de badboyittude. D'ailleurs, lorsqu'il se redressa subitement, le regard planté dans celui de Tricia, il s'écria :
— Sharingan !
La jeune fille recula, par réflexe plus que par peur, avant de soupirer, exaspérée :
— Putain mais t'es pas encore sorti de ta phase "Sasuké" ? Combien de fois je dois te le répéter : Tu. N'as. Pas. De. Sharingan.
Mattéo l'ignora, cela dit ; à ce moment précis, ses muscles qui, jusqu'ici, avaient une circonférence somme toute normale, grossirent jusqu'à doubler de volume, faisant craquer les coutures de son t-shirt — pour le plaisir de ces dames et de certains mecs.
Le bad boy retourna la table d'un coup de pied, écrasant au passage Anaïs et Marina, les meilleures amies de Tricia. Mais comme il s'agissait de personnages secondaires, tout le monde s'en fichât et resta concentré sur la bagarre à venir.
La jeune fille elle-même n'eut pas le temps de pleurer la perte de ses défuntes amies car, prise de panique, elle décida de s'enfuir ; mais rien ne pouvait échapper à Dark Mattéo, lequel la rattrapa par son chignon — lequel était d'ailleurs impeccable, ce qui méritait d'être remarqué.
Enfin, impeccable, il ne le resta cela dit pas bien longtemps, car le jeune homme s'empressa de tirer dessus jusqu'à projeter Tricia contre le mur opposé.
— Tu paieras cet affront de ta vie, Tricia ! tonna le bad boy de sa voix gutturale.
A quelques tables de là, tandis que sa camarade était en train de se faire démolir, Aurore poussa un long soupir rêveur.
— Ah, décidément, qu'est-ce qu'il est beau !
Marjorie, la petite gringalette qui lui servait de meilleure amie, haussa un sourcil et bredouilla de sa petite voix de crécelle :
— B-Beau ? T-tu trouves ?
— Oui, regarde-le ! Ses muscles parfaitement dessinés, ces yeux bleus, ses cheveux noirs corbeaux... Il est si... Sombre ! Si méchant ! Tout ce qu'il faut pour conquérir une fille.
En même temps qu'elle disait ça, Mattéo s'était mis à envoyer de gros coups de pieds dans la figure de Tricia.
— Je suis pas sûre que ce type soit vraiment fréquentable, tu sais..., objecta la gringalette à frange.
— Je me fiche de sa réputation, Marjorie ! Ce ne sont que des ragots qui circulent sur lui, rien de fondé.
Tricia rampait à présent pour échapper à l'emprise du bad boy, mais celui-ci lui attrapa les pieds et la tira sur plusieurs mètres, laissant une longue trace de sang derrière eux.
— Quand même, tu trouves pas qu'il va un peu loin dans sa badboyittude ?
— Comment ? s'offusqua Aurore. N'importe quoi ! Les mecs violents et qui maltraitent les filles, c'est super sexy, non ? C'est ce qui excite les lectrices sur Wattpad, en tout cas.
— Hein, de quoi tu parles ?
Mattéo soulevait à présent Tricia dans les airs et, rassemblant toute sa puissance, la balança à travers le self, jusqu'à ce que la jeune fille aille traverser la baie vitrée.
— Oh non, pas encore la baie vitrée..., grimaça Mme Grassi, la proviseure, qui avait assisté passivement à toute la scène.
Après s'être longuement massé les tempes, celle que l'on surnommait Pinochette hurla :
— M. Belcore ! Je vous avais pourtant sommé d'arrêter de viser cette baie vitrée ! Vous allez finir par me bousiller le budget de l'établissement, à force !
— Hum, intervint l'un des surveillants. Madame, que fait-on à propos de la jeune fille ?
— Qu'est-ce que j'en sais, moi ? vociféra la proviseure tout en postillonnant sa salive radioactive sur son interlocuteur. J'ai l'air d'être une croque-mort ? Est-ce que je ressemble à une croque-mort, d'après vous ? Appelez la morgue, ils se débrouilleront avec le cadavre !
A ce moment-là, on vit une main émerger des décombres, et une voix caverneuse articuler un faible :
— Je suis toujours... vivante...
Mme Grassi s'empressa alors d'achever l'adolescente, avant d'aboyer sèchement au bad boy :
— Vous, dans mon bureau !
Mais Mattéo, en bad boy exemplaire, lui fit un bras d'honneur avant de s'en aller de sa démarche de bad boy, séchant le lycée pour faire des trucs de bad boy... Quoi exactement ? Bah, j'en sais rien, je suis pas un bad boy, moi !
En le voyant ainsi, au summum de sa badboyittude, Aurore dû essuyer le long filet de bave qui avait coulé sur la table, jusqu'à former une petite flaque en-dessous de son menton.
— Décidément, il est tellement beau, Marjorie ! Je suis sûre qu'un jour, ce sera moi sa petite-amie. J'aurais le privilège de lui tenir la main ; de l'embrasser ; de le suc-
— De mourir sous ses poings, l'interrompit la gringalette.
— Oh, ça, c'est accessoire ! balaya la blonde d'un revers de main.
— En tout cas, maintenant qu'il a buté Tricia, on peut dire que t'as le champ libre.
Aurore acquiesça et continua de regarder Mattéo s'éloigner tout en rêvassant à ce que l'avenir leur réservait...
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! elanaB
Ficção AdolescenteDepuis toujours, Aurore est persuadée d'être l'héroïne d'une histoire. De fait, il lui semble évident que Mattéo, son ex-ami d'enfance devenu un bad boy ténébreux, lui revient de droit. Qu'importe sa réputation de briseur de coeurs, il finira tôt ou...