Tu étais un accident.

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Les faisceaux de lumière de la gigantesque machine à voyager m'avaient toujours fascinés. Alors, quand j'avais quelques secondes de répit, mon regard se portait vers eux, comme un parasite, une mouche dans la pénombre, ou un avare en quête d'argent.

J'étais certes un conducteur, mais j'avais toujours eu un penchant lyrique, alors, comme chaque matin, je scrutais impatiemment le rideau lumineux que les phares dessinaient sur le chemin devant moi, m'imaginant métaphores et assonances pour combler le vide de ces journées. Le hurlement des roues du métro, croissant contre les rails, retentissant dans les oreilles des voyageurs, en quête d'un minimum de paix pour se rendre à leur travail. Bien au chaud, mon corps s'emplit d'une légère fierté, du sentiment de toute puissance sur ces petites âmes le temps d'un trajet. Les mains serrées autour du tableau de commande comme un enfant à une peluche, j'attendais le moment, fatidique, ou le métropilitain sortirait d'une mer de pénombre.

Fin du hurlement, début du répit.

Et puis tout va très vite.

Je t'aperçois t'approcher du quai, dans un gros caban gris, les mains dans les poches, dédaigneuse presque. Tu es à mes yeux un bout de couleur, un bout de quelque chose, un bout d'une de ces inombrables personnes sur le quai, rien de plus. Tu te mets à courir, trop vite pour que j'ai le temps de réagir, de crier, sur toi ou dans le vide. Un instant plus tard, je suis quelques mètres plus loin, la main fermée autour du bouton d'arrêt.

CONDUCTEUR RATP, 8:22, 22/01/19

Fragments du Caban Oublié [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant