Les temps qui suivirent ne furent d'aucune aide pour la détresse de Mademoiselle de Sarrin, dont le livre retrouvé ne quitta plus les mains. Ce n'était cependant pas de s'être vu trahir par M. de Nancy dont elle souffrait, mais de l'affliction à devoir l'oublier, objet de sa tendresse. Madame de Sarrin fut impuissante face à l'affliction de sa fille, car elle-même souffrait de cet événement. Il lui semblait que la faute lui revenait de droit, pour n'avoir point assez éduqué sa fille des dangers de l'amour, et de sa complexité. Elle se complaisait à la cour sans jamais n'avoir mesuré la souffrance que pouvait traverser son enfant, et les regrets étreignaient son cœur. Cependant, elle ne put aider sa fille en aucune manière, car celle-ci s'évertua à conserver toute douleur en elle, sans jamais la partager.
C'est ainsi que, plus les jours passèrent et plus Mademoiselle de Sarrin s'enferma dans un silence si grand, qu'il ne seyait plus de dire que Madame de Sarrin la connaissait en aucune manière. Ce qui se produisit cependant, fut d'un ordre tout à fait inattendu : la tristesse de l'héritière se mua progressivement en une satisfaction si grande, qu'un jour elle demanda à sa mère de la mener à la cour, avec la plus grande fierté qu'une femme de son rang pouvait éprouver. Mademoiselle de Sarrin voyait désormais sa mésaventure comme une grande leçon, et se félicitait de n'avoir jamais cédé au péché de l'amour, car elle n'en ressortait que plus vertueuse. N'avoir point cédé à ce truand déguisé en honnête homme lui paraissait d'une qualité infinie, et elle se ravissait à l'idée d'approcher l'idéal de vertu inimitable de son roman.
Cette assurance nouvelle étonna, tant sa mère que la cour, qui vit la jeune femme revenir plus belle encore, elle voulait le croire, plus vertueuse, plus fière et plus distinguée qu'elle n'avait pu l'être. L'on s'étonna beaucoup en la voyant de retour, et bien que son éclat ne dissimulât pas le peu de beauté qu'elle possédait, l'on admira sa confiance et la prestance dont elle fit preuve durant le bal où elle apparut. En observant ce changement surprenant dans l'attitude de sa fille, Madame de Sarrin songea avec ravissement que son état s'était grandement amélioré, et que la vie pouvait sans doute reprendre son cours. C'est avec cette idée qui lui traversa l'esprit, qu'elle développa le projet du mariage, dans lequel elle plaçait de grands espoirs. Elle entreprit donc, avec une grande assiduité, de trouver un mari convenable à sa chère enfant. Par malheur, un fait détestable traversa son projet : elle chercha dans toutes les réceptions, aborda tous les jeunes hommes de la cour, mais ne trouva personne qui concéda à épouser sa fille. Ses recherches s'étendirent même jusqu'aux jeunes héritiers éloignés de la capitale, mais chaque fois qu'un s'en allât pour apercevoir Mademoiselle de Sarrin, et juger de sa qualité, il refusa avec une infinie politesse, prétextant qu'il ne pouvait épouser une femme d'une telle distinction sans lui apporter la honte de sa rustrerie. Barguigner ne fut aucune d'aide à Madame de Sarrin.
Des mois passèrent ainsi, et chaque jour Madame de Sarrin se languissait de voir sa fille mariée. Un jour, il lui fallut se rendre à l'évidence : personne ne consentirait à l'épouser, hormis quelqu'un qui avait déjà de tendres sentiments pour elle. Elle prit alors contact avec M. de Nancy, qu'elle rencontra au hasard d'un bal à laquelle sa fille ne participait pas. Celui-ci refusa tout d'abord, car la blessure que Mademoiselle de Sarrin avait laissé en son cœur était encore très vive. Il confia à la mère sa mésaventure avec l'héritière, insista sur le fait qu'elle l'avait accusé à tort du vol de son roman alors qu'il n'avait fait que le découvrir au sol, et avait entreprit de le lui rendre tout en lui confiant son amour. Madame de Sarrin se désola de ce malentendu, mais assura au jeune homme que, s'il éclairait l'esprit de sa fille, elle réaliserait l'erreur qu'elle avait faite, et il ne lui paraîtrait que plus honnête encore. M. de Nancy songea alors, qu'accepter la requête de Madame de Sarrin était une occasion inespérée de se venger de la perfidie de celle qu'il aimait, et après de nombreuses rencontres durant lesquels ils conversèrent longuement, le mariage fut arrangé.
Quelques jours plus tard, Madame de Sarrin vint trouver sa fille dans sa chambre, pour lui annoncer la nouvelle.
« Ma chère, j'ai enfin trouvé quelqu'un pour vous épouser. C'est un fort gentilhomme, de bonne famille et de bonne éducation. Je suis certaine que vous ferez un très beau mariage.
— Oh ! » s'exclama Mademoiselle de Sarrin.
Elle s'enquit alors avec empressement de l'identité de celui pour lequel elle avait tant œuvré à préserver sa vertu. Sa mère s'écarta afin de laisser passer l'heureux élu, qui l'avait accompagné, et le visage de la jeune héritière se décomposa à mesure que son identité lui fut révélée. Elle s'effondra sur son lit, effarée par ce si mauvais tour que lui avait joué le destin, pour lui avoir fait combattre avec tant d'ardeur celui dont elle deviendrait l'épouse.
Si par la suite, l'on ne se souvint pas de la beauté inimitable de Mademoiselle de Sarrin, on se souvint de Madame de Nancy, qui s'évertua si fortement à rejeter l'homme qu'elle épouserait par la suite, par simple désir de vertu. Et parce que sa simple présence apportait tant de souffrance à la jeune femme, M. de Nancy s'en trouva très heureux, et jamais ne se plaignit de son mariage.
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Mademoiselle de Sarrin
Short StoryLa vertu peut être source de tant de souffrance, cela, Mademoiselle de Sarrin en avait une conscience aiguë. Mais le destin est joueur et fallacieux, et cette application si belle à la sagesse et si encline au danger de l'aveuglement, pourrait peut...