Partie VI

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Quelle ne fut pas la surprise de Madame de Sarrin, lorsque sa fille lui annonça qu'elle sortait ! L'héritière refusa de lui révéler le motif, entreprit seulement de la rassurer en annonçant une simple promenade dans le quartier, et s'éclipsa tôt dans l'après-midi. Malgré elle, elle avait revêtu ses plus beaux habits afin de rencontrer M. de Nancy. Son dessein était de l'enchanter autant qu'elle le blesserait, pour avoir osé lui jouer un tour si perfide. Le truand lui avait donné rendez-vous à une adresse très peu éloignée de la sienne, mais marcher ainsi seule dans les rues la mit tant en émoi, que son pas se fit plus rapide.

La porte lui fut ouverte lorsqu'elle arriva à bon port, et M. de Nancy l'attendait dans le vestibule, terriblement impatient de la revoir. Il avait attendu ainsi longtemps, le livre en main, désireux de le rendre à sa propriétaire. Lorsqu'il l'avait retrouvé au sol, à la dernière réception où ils s'étaient vus, il avait tout de suite compris à qui appartenait l'ouvrage, et avait ainsi entreprit de rencontrer la jeune fille. Celle-ci, en le voyant, durcit son expression avec tant d'intensité qu'il en fut troublé.

« Chez qui sommes-nous ? » lui demanda-t-elle sans s'embarrasser de salutations qu'elle ne souhaitait pas lui témoigner.

Il fut surpris par la verve qui l'habitait mais n'en laissa rien paraître.

« En ma demeure »

Mademoiselle de Sarrin frissonna, effarée de se trouver ainsi dans la demeure d'un amant en qui elle n'entretenait aucune affection, du moins voulut-elle le croire. Toutefois, afin de retrouver le livre qu'il lui avait volé, elle était dans l'obligation de braver le désir de vertu qu'elle entretenait depuis si longtemps. M. de Nancy lui sourit avec toute la politesse dont il pouvait faire preuve, et demanda poliment à Mademoiselle de Sarrin si elle voulait bien l'accompagner jusqu'à son salon, où ils pourraient alors s'asseoir. A contrecœur, elle accepta, et sans cesser de l'observer, le suivit. Les deux jeunes gens s'installèrent, et finalement M. de Nancy dévoila le livre tant convoité, le déposant avec délicatesse sur la petite table qui les séparait. Immédiatement, Mademoiselle de Sarrin s'en saisit, et le regarda amoureusement. Que lui avait-il manqué ! La vie lui avait semblé si fade, si peu d'intérêt, sans lui. Bien qu'elle puisse le réciter de mémoire, il existait un plaisir inexplicable à tenir un si bel ouvrage, si plein de vertu, dans ses mains.

« Que faisait-il auprès ? Pourquoi me l'avoir dérobé ? » demanda-t-elle à M. de Nancy.

Elle ne pouvait entrevoir les raisons qui aient pu pousser un si gentil homme à commettre un tel méfait envers elle. Il lui sembla que l'homme dont elle s'était éprise, au nez et à la prestance remarquable, s'était transfiguré en un vil personnage d'une malveillance terrible. Sans doute ne pourrait-elle jamais se pardonner, pour avoir ressenti de l'affection à son égard.

« A vrai dire, je...

— Pardonnez-moi, mais en y réfléchissant, je préfère ne plus rien entendre qui sorte de votre bouche. Comprenez, Monsieur, que je ne désire qu'une seule chose : que vous me laissiez en paix et disparaissiez de ma vue. Alors que je suis promise à un heureux mariage dans l'avenir, vous avez fait fi des convenances afin de me séduire, et je ne peux vous le pardonner. Vous êtes allé jusqu'à avoir l'audace de me voler un bien qui m'est précieux, et pour ce motif monsieur, je ne souhaite plus vous revoir. Ne me faites plus parvenir de lettres, et ne venez plus m'importuner, je vous prie. »

Désireuse de s'en aller prestement elle le salua avec sobriété et s'évanouit de sa vue. M. de Nancy resta immobile, tant les propos de la demoiselle avaient percé son cœur d'une douleur indicible. 

Mademoiselle de SarrinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant