Chapitre dix-neuvième

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   Adrian avait fait amené son invité dans ses appartements privés, enchaîné et retenu par quatre gardes qui n'en étaient pas moins de sombres disciples du Nosferatu. 

   Fallacy ne disait rien, se contentant de relever la tête avec fierté, peu importait sa position de proie. Le jeune homme le dévisagea un long moment de ses yeux violets, une coupe de sang frais à la main. 

-Toujours aussi stoïque, roi des vampires ? ricana le traître en le contemplant depuis son siège. 

   Le squelette ne releva pas la pique et se contenta de lui lancer un regard meurtrier. Amusé, le seigneur se leva et s'approcha de lui pour lui tourner autour comme un vautour, laissant ses longues draperies noires traîner sur le sol en un petit sifflement désagréable.

-Tu es à la fois fascinant et répugnant... Un roi dont le sang doit être des plus exquis... 

   Tout en parlant, il s'approcha des cervicales du vampire et les lécha avec envie. Fallacy tiqua et lui donna un violent coup d'épaule qui le fit reculer, avant que les gardes ne tirent violement sur ses chaînes. 

-Plutôt devenir poussière que de te laisser t'abreuver tout ton saoul ! grogna-t-il avec fierté. 

   Le Nosferatu sourit et essuya le sang qui coulait de sa lèvre, regardant sa coupe renversée avec dédain. 

-Exactement comme ton ancêtre, ricana-t-il en prenant l'un des livres qui traînait sur un secrétaire en bois vernis. Ce pauvre roi de pacotille qui préféra sacrifier sa vie et celle de sa compagne pour sauver de simples sujets idiots. Quelle sombre histoire tu as dis-moi !

-Je ne vois pas de quoi tu parles, répliqua sèchement Fallacy en sentant néanmoins son âme pulser dans sa poitrine. 

   De quoi ce monstre voulait-il parler ? 

-Oh allons... Ne me dis pas que tu ne connais pas ta propre lignée ?~ C'est décevant... 

   Le roi des vampires commença à s'agiter en faisant cliqueter de nouveaux ses entraves de métal, bouillant de rage. Il laissa un instant son aura emplir la pièce, sombre et instable, faisant même reculer les disciples d'Adrian. Ce dernier, loin d'être impressionné par cette petite démonstration de puissance, ricana et s'approchant en laissant à son tour sa magie emplir la pièce. 

   Son petit jeu eut de l'effet. Les gardes baissèrent humblement la tête devant tant de puissance et de noirceur, tandis que Fallacy se figeait. De toute sa longue vie, il n'avait aucun souvenir d'avoir déjà senti une aura aussi meurtrière, aussi sauvage, aussi froide... Et, durant un instant, il n'était plus roi, ni lui-même. Il était une goutte de sang dans un océan de massacre, il était une femme qui criait, un homme qui suppliait, un enfant qui pleurait : tout n'était que cris et tueries, c'était une réalité teinte d'un rouge sombre sans chaleur. 

   Rouvrant brusquement les orbites, le squelette aux os noirs inspira pour essayer de calmer son âme folle, son souffle tremblant, et les frissons qui lui parcouraient la colonne vertébrale. 

-Le sang est l'héritage d'un peuple, continua Adrian avec le plus grand sérieux. Chaque être vivant sur cette terre possède le sang et la mémoire de ses ancêtres, et chaque parcelle, même infime, de ce sang, retrace la parfaite alchimie entre les souvenirs et les sensations. Ce que tu viens de voir, c'était l'un de mes nombreux massacres, en Roumanie il y a quelques siècles de cela. Le sang nous permet de survivre, nous, les vampires, parce qu'il nous permet de recevoir la vie des autres, l'héritage de leur ancêtres. Mais le prix à payer est cruel. 

   Il fixa intensément Fallacy en reprenant une coupe de sa macabre boisson, un étrange sourire aux lèvres. 

-En échange de la vie, nous sommes condamnés à nous souvenir de la mort. Chaque mortel tué nous condamne à garder en mémoire sa mort, comme un héritage de son sang pris par la force. 

The Darkness of the soulOù les histoires vivent. Découvrez maintenant