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Quand je me réveille ce matin, la chambre est vide. Le soleil de fin d'août transperce les rideaux fins qui pendent sur les tringles abîmées, parvenant jusqu'à mes yeux clos. Je me retourne dans les draps, grimaçante, et tend les doigts de l'autre côté du lit. La chaleur absente si familière du corps d'Iris et Sery me rappelle douloureusement à la réalité, et mes yeux s'ouvrent sur un univers oscillant entre le blanc des murs peints à la chaux et le brun des poutres vermoulues qui soutiennent la charpente fragile de la maison.

Je me redresse doucement, prenant le temps de m'étirer les vertèbres une par une comme un chat après la sieste. Une fine poussière recouvre les meubles aussi bien que les vitres crasseuses, mais les rayons matinaux agressent mes iris bleues à la limite de la transparence. Mes muscles endoloris rappellent mon entraînement physique de la veille au centre d'entrainement de la caste, et j'éprouve une subite envie de replonger dans mes oreillers. La seule pensée des jumeaux se levant dans l'orphelinat du coin me donne envie de vomir, et la motivation de sortir de ce lit si moelleux est infime.

Mes jambes se jettent hors des draps et se balancent un moment, effleurant le parquet irrégulier du bout des orteils. Mes yeux fixent un instant les encoches et les éraflures du bois, puis remontent le long de mes jambes blanches. Un air frais traverse la pièce, me signalant que le feu de la veille n'a pas été ravivé à temps. Effectivement, l'âtre est vide, et quelques braises rougeoyantes me rappellent que je suis incapable de tenir correctement une maison. Tout comme le tapis griffé par les animaux errants qui rendent visite quand je suis de sortie, ou la coupelle à fruits aussi vide que mon estomac qui crie famine. Mon regard balaye l'horloge cassée qui pendouille au mur, et le bar en inox, seul vestige des matériaux que les habitants utilisaient bien avant la venue au monde de mes propres parents. Depuis que le gouvernement a mis main basse sur toutes les castes, les temps sont difficiles. Mais au moins, je suis en vie, et Iris et Sery aussi. C'est tout ce qui compte.

Je compte sur toi Céles. Tu dois à tout prix les maintenir en vie. C'est ta mission maintenant que je ne serais plus là. Tu comprendras le moment voulu, mais veille sur eux. C'est tout ce qui compte.

Les dernières paroles de ma mère, rendue malade par une viande rouge contaminée, me résonnent un léger moment dans l'esprit, puis je secoue la tête violemment en sentant deux perles transparentes monter à mes yeux. Ce n'est pas le moment de flancher.

Malgré les courbatures qui sillonnent mes muscles endoloris, je me lève, le dos légèrement courbé et mes épais cheveux bruns tombant en cascade volumineuse contre mes omoplates. Par habitude, je porte la main à mon poignet et y saisis l'élastique qui me coupe la circulation sanguine. Mes veines presque noires contrastent avec mon teint blême de saisonnière de la caste neuf. Peu de temps après, ma crinière brune se retrouve enroulée en chignon serré autour de mon crâne, et dans la casserole posée sur le gaz bout l'eau de la rivière voisine. Tout en enfilant ma tenue de travail, composée d'un pantalon fin déperlant et d'un épais k-way brun foncé, je pose une tasse ébréchée sur la table. Un peu trop violemment, sans doute : elle ricoche sur la surface boisée et la fissure s'élargit. L'eau encore fumante que je verse dans le récipient s'échappe par les légers interstices, s'évadant dans les zébrures de la table. Je presse une grappe de raisin d'un geste énergique et observe les gouttelettes tomber dans le liquide transparent, provoquant des ondes légères à la surface. Ignorant le goût à la fois amer et acide, provoqué par le jus contaminé et les pépins, j'avale le tout en grimaçant. Un rictus serre mon visage émacié et soulève brièvement le coin de mes lèvres gercées.

J'attrape ma montre posée sur la table de chevet, seul objet moderne provenant du Centre. Digitale, elle s'allume au contact de ma peau froide, et s'ouvre sur un écran noir couvert de chiffres bleutés. Il me reste encore une bonne heure avant la réunion de pré-travail et l'entraînement. J'ai intérêt à me dépêcher.

CAPSULEWhere stories live. Discover now