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Deux heures d'hyperactivité plus tard, je me rends dans la salle de sport miteuse de Downtown. Les vitres sont crasseuses, couvertes de la poussière blanche de la carrière, les tapis de course anciens, et délavés. Les murs sont bruns, comme nos tenues de sport. Un neuf large et doré orne nos tenues de jogging. La silhouette sportive et baraquée de Caleb attire mes yeux du coté des barres de traction, et je le rejoins en petites foulées, consciente de ma maigreur extrême.

- Salut beau gosse, dis-je en parvenant à sa hauteur.

Il se retourne et baisse les yeux. Cette fois-ci, mes longs cheveux noirs sont noués en queue de cheval qui descend le long de mon dos jusqu'à mon coccyx.

- Salut, jeunette, plaisante-t-il. Allez, prend une barre. Trois tractions.

J'avise mes muscles de bras ridiculement petits, et le regarde enchaîner les exploits sportifs. Il me reste une semaine pour gagner assez en condition physique pour tenir le mois de travail intense qui s'annonce. Alors déterminée, je saute et m'agrippe à la barre de métal qui me surplombe. La surface est froide, dure sous mes doigts glissants. Je force sur mes bras en grimaçant, sentant les muscles se contracter difficilement sous l'effort. J'effectue doucement les trois tractions puis me laisse tomber au sol, essoufflée.

- Je ne pensais pas que tu y arriverais, m'avoue Caleb avec un grand sourire.

- Moi non plus, mais rien n'est impossible, soufflé-je.

L'heure de sport passe très vite, et je ressors de la salle avec les muscles encore plus endoloris que ce matin, ce que je ne pensais pas possible. Caleb a rendez-vous pour son travail cet après-midi, alors je me retrouve à errer seule avec ma conscience dans les ruelles vides et glacées de Downtown. Quand nous avions une tablette tactile, avec mes parents, nous aimions bien regarder les anciens films d'horreur créés par nos prédécesseurs, même si tous les trucages paraissaient évidents. J'ai exactement la sensation de me retrouver dans une de ces scènes, ou des présences fantomatiques suivent les héros dans des rues sombres et froides.

Mes pas me dirigent vers la carrière, aussi vide que ce matin. L'écho de mes bottes se répercute dans le vide de caillasse. Je m'agenouille, puis m'assied et m'étend en inspirant profondément. A cet instant, j'aimerais que tout s'arrête, que les vapeurs toxiques aient raison de mon faible corps. Derrière moi, les barrières de sécurités flottant dans le vent et signalant « chantier interdit » semblent approuver mes pensées morbides.

La loi de la caste nous enseigne de ne jamais mettre les pieds dans ce chantier sans y avoir été autorisé. Je crois que c'est la règle que j'ai le plus enfreinte de toute ma vie, vu toutes les longues heures ou nous nous sommes retrouvés allongés sur ces cailloux, avec Caleb. Je ne sais pas exactement ce que le Gouvernement veut nous cacher, en barrant aussi sévèrement l'accès aux roches.

Mes pensées vagabondent un instant. Je pourrais me laisser glisser dans la carrière. Je pourrais, mais je ne le fais pas, parce que les jumeaux comptent sur moi, et je dois les aider, leur donner une vie convenable.

Un bruit soudain me fais me redresser, les yeux hagards, les oreilles en alerte. Je me redresse, me retourne. Lentement, ma main se porte à mon fidèle sac à dos et en sors un lance-pierre, tandis que mes yeux survolent la carrière battue par les vents. Quelques herbes hautes se balancent en rythme, inquiétantes. J'ai la sensation d'être épiée, mais rien ne vient à ma rencontre. Une légère inquiétude fais accélérer les battements de mon cœur.

- Infraction aux règles de la caste, et possession d'une arme dangereuse. Vous risquez gros, mademoiselle.

Mon sang se glace dans mes veines noires. Cette voix provient de derrière moi, et je la reconnais bien : c'est celle du soldat gouvernemental, le père de Karie. Je me retourne lentement pour faire face à sa carrure imposante, et ses cheveux grisonnants coupés en brosse sur un visage anguleux aux traits tirés. Un demi-sourire de travers laisse apercevoir ses dents jaunissantes. Je n'ai jamais vu de lueur aussi sadique que celle qui brille dans son regard noir.

CAPSULEWhere stories live. Discover now