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Penchée au-dessus de mon cahier, la tête coincée entre les mains et les lunettes en équilibre sur le bout de mon nez, je rumine ma haine pour la philo

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Penchée au-dessus de mon cahier, la tête coincée entre les mains et les lunettes en équilibre sur le bout de mon nez, je rumine ma haine pour la philo. Pour ce prof sans foi ni loi qui n'a eu aucune pitié à nous donner un devoir à faire pendant les vacances de Noël. Et pour cette fichue dissertation qui n'a strictement aucun sens.

Pour trouver le bonheur, faut-il le chercher ?

Je vous en pose, moi, des questions ?

La réponse semble tellement simple, mais c'est là toute la beauté de la philosophie. Cette matière est fourbe. Sournoise. Vicieuse. Néanmoins, elle pousse à la réflexion. On peut au moins lui reconnaître ça.

Et puis après tout, qu'est-ce que le bonheur ?

Le bonheur n'est-il pas l'une des notions les plus subjectives qui soient ?

Il est vrai, parfois, le bonheur vient à toi alors que tu ne l'attendais même pas. Quand tu reçois un dix-sept à ton contrôle de maths alors que tu pensais avoir lamentablement échoué, par exemple. Cela ne m'est jamais arrivé, mais j'imagine sans peine l'euphorie qui m'envahirait.

Et puis parfois, tu peux passer dix ans à courir après le bonheur comme une dératée, sans le trouver. C'est qu'il sait se faire discret, cet idiot. Et après dix ans, j'en suis arrivée à la conclusion suivante : le bonheur me fuit.

Je me redresse brusquement et laisse tomber ma tête vers l'arrière en poussant un long et profond soupir, comme pour évacuer le trop plein de pression qui s'est abattu sur moi.

Non, je ne peux pas écrire ça dans ma dissertation. Ça ne m'attirera rien d'autre qu'une mauvaise note, et un commentaire caustique de la part du comique qui nous sert de prof.

Je n'y arriverais pas. Cette question aura eu raison de moi. Comme si j'avais besoin d'un zéro pointé coefficient quatre pour faire baisser ma moyenne déjà au ras des pâquerettes ! Si au moins j'avais des amis à qui demander de l'aide...

Je hais ma vie.

— Agathe ?

Au bas des escaliers, j'entends ma mère crier mon prénom de sa voix haut perchée.

Je me lève en soupirant et me laisse tomber sur mon lit. Je sais exactement ce qu'elle va me dire. En tant que mère soucieuse et aimante, ça la tue de savoir que sa fille de bientôt dix-huit ans passe ses journées enfermée dans sa chambre comme une recluse.

Elle m'a plusieurs fois proposé d'aller voir un psychologue. Et à chaque fois, j'ai dû me retenir de lui rire au nez. Ce n'est pas d'un psy, dont j'ai besoin. C'est de tranquillité. Oubliez-moi !

— Agathe !

— Quoi ? lancé-je d'une voix suffisamment forte pour qu'elle puisse m'entendre.

— Descends.

— Pourquoi ?

— Descends !

Je soupire. Ma mère dans toute sa splendeur. Comprenant que je n'aurais pas le dernier mot, comme à chaque fois, je me lève et sors de mon antre.

Sur le palier, je m'attarde un instant devant la grande fenêtre qui donne sur notre jardin. Noël approche et l'hiver s'est finalement installé chez nous. Les arbres sont complètement dépouillés de leurs feuilles, le ciel est gris et les vitres des voitures sont recouvertes de givre.
Il fait un froid polaire.

Pourtant, pas le moindre flocon de neige en vue.

Cela fait cinq ans qu'il n'a plus neigé, ici. Cinq ans que je n'ai pas pu contempler ces rues familières recouvertes d'un magnifique manteau blanc immaculé, que je n'ai plus eu l'occasion de voir mes doigts rougir au contact des flocons, d'entendre la neige crisser sous mes pas, de slalomer entre les plaques de verglas. Cinq ans que nous n'avons pas eu un hiver digne de ce nom.

De même, cela fait cinq ans que j'ai perdu celle qui se prétendait ma meilleure amie. Cinq ans qu'elle est partie et ne m'a plus jamais donné de nouvelles.

Elle a ignoré tous mes appels, tous mes messages. Elle m'a bien fait comprendre que je n'étais pas indispensable à sa vie. Elle m'a complètement et définitivement oubliée. Et moi, je n'ai plus jamais réussi à me refaire des amis après cela.

La confiance qui emplissait mon cœur a complètement fondu. Et comme la neige, elle n'a plus jamais reparu.

Comme tombe la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant