— Qu'est-ce que tu fais encore, dans ta chambre ?
Assise sur le canapé, un livre aussi épais qu'un dictionnaire entre les mains, ma mère m'accueille avec un sourcil haussé et une moue contrariée.
— Rien. Je travaille. Pourquoi ?
— Les vacances ne font que commencer, Agathe. Tu auras tout le temps pour travailler.
— Ouais, on dit ça, et puis on se retrouve à devoir tout faire le dimanche soir. Désolée de prendre de l'avance ! Je te rappelle aussi que j'ai un bac blanc fin Janvier...
— Détends-toi ! Les vacances sont justement faites pour décompresser et se ressourcer. Il est hors de question que tu passes la période des fêtes à travailler dans ta chambre. Tu verras, tu auras tout le loisir de faire ça quand tu seras à l'université.
— T'es tellement encourageante, c'est dingue...
— Allez, il faut que tu sortes, un peu. Tu ne pourras pas passer ta vie enfermée entre quatre murs. Je vais faire un tour au marché de Noël, tout à l'heure, et tu vas venir avec moi.
— Quoi ? Mais...
— Ce n'est pas négociable. Va te préparer, on part dans vingt minutes.
Et elle replonge le nez dans son livre, me faisant bien comprendre que la discussion est close.
Ai-je déjà précisé que je hais ma vie ?
Je hais ma vie.
À contrecœur, je remonte donc dans ma chambre pour m'habiller. J'enfile un t-shirt noir et un gros pull en laine beige, attrape le jean qui traîne sur ma chaise, et donne trois coups de brosse énergiques dans ma touffe de cheveux pour donner l'illusion qu'ils sont à peu près coiffés. Une fois prête, je descends et enfile ma doudoune, mon écharpe et mes bottes. J'enfonce un bonnet sur mon crâne et je fourre mes mains dans mes poches pour les protéger du froid.
— C'est bon, je suis prête ! crié-je à ma mère.
Et je m'empresse de sortir avant d'attendre une quelconque réponse. À peine ai-je mis un pied à l'extérieur que je sens le bout de mon nez se transformer en bloc de glace.
Non mais quelle idée de sortir par un temps pareil...
⁂
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le marché de Noël bat son plein. Il s'en dégage une atmosphère chaleureuse, une ambiance « réunion familiale autour d'un feu de cheminée » qui n'est pas pour me déplaire. Les chalets en bois ont été installés sur la place de la cathédrale, laquelle se dresse en arrière-plan, auréolée de lumière.
Il est seize heures trente. Autant dire qu'il fait déjà presque nuit.
Ma mère et moi slalomons entre les passants et les touristes pour nous frayer un chemin jusqu'au marché. Non loin de nous, j'entends les cris du vendeur de marrons et de vin chaud. Une odeur sucrée flotte dans l'air et me titille les narines. Mais j'ai beau balayer la scène du regard, impossible de localiser le chalet à gaufres.
— Oh, regarde !
Ma mère m'a déjà distancée d'une bonne dizaine de mètres, et elle s'extasie à présent devant un étalage de figurines en terre cuite peintes à la main. Je presse le pas pour la rejoindre, jouant des coudes pour traverser la foule agglutinée devant le stand de charcuterie.
— T'en veux une ?
— De quoi ?
Elle se tourne vers moi et agite sous mon nez un hérisson de cinq centimètres de long, aux yeux globuleux, au museau écrasé et aux épines dessinées au couteau.
— Ah... Non, merci.
J'enfonce mon nez dans les plis de mon écharpe et rajuste mes lunettes couvertes de buée sur mon nez, avant de m'éloigner de quelques pas. Mais il y a tellement de monde dans les allées que quel que soit l'endroit où je me place, je gêne forcément quelqu'un.
Alors que mon regard est captivé par un étalage de foulards aux couleurs toutes plus improbables les unes que les autres, un bras traverse mon champ de vision, et je recule brusquement sous le coup de la surprise.
J'ai juste le temps d'entrapercevoir une longue chevelure blonde danser devant moi, avant d'être brutalement bousculée par un rustre qui s'éloigne sans même s'excuser. Je m'écarte de la foule en grommelant et redresse la tête pour dire le fond de ma pensée à cette inconnue aux cheveux blonds, qui mériterait sans doute quelques leçons de savoir-vivre.
Mais alors que je m'apprête à lui balancer ses quatre vérités, elle se retourne vers moi, et je me retrouve paralysée par un regard d'une telle intensité que je manque une fois de plus de me laisser submerger par la foule.
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Comme tombe la neige
Short StoryL'une est un livre ouvert à la couverture abîmée et aux pages cornées. L'autre cache farouchement ses pages ternies derrière une couverture flamboyante. Deux jeunes filles que tout oppose, et qui ont pourtant un point commun. Elles ne croient plus e...