Chapitre Quatre

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Jour 2

Owen

Dormir dans la même pièce qu'un ronfleur, ce n'était pas du tout le pied pour le sommeil léger d'Owen. La veille, ils s'étaient tous couchés à cinq heures de l'après-midi, car il faisait déjà sombre dehors et il n'y avait rien à faire après la livraison à laquelle avait participé Basile et Nathan seuls. Maya avait refusé toute alimentation, encore sous l'effet du SLK, Rael et elle s'étaient disputé à propos de sa situation. Owen était donc allé s'enfermer dans les dépendances pour étudier les échantillons de sang de Maya, Hakim qui l'avait accompagné et lui-même.

Il manquait cruellement de matériel, aussi n'avait-il seulement pu prendre quelques gouttes de chaque à l'aide d'une aiguille et remarquer la différence de couleur. Son sang à lui, le témoin, était d'une couleur relativement normale, celui de Hakim, bien qu'un peu plus brun était parfaitement naturel. Pas très étonnant, il savait que la prise de SLK provoquait des effets sur l'organisme d'une manière ou d'une autre.

Celui de Maya en revanche, avait des hématies d'un noir assez intriguant. En y pensant, Owen trouvait tout chez cette fille intriguant. Il venait de la rencontrer, mais ses grands yeux bleu-gris lunaires, son air légèrement hautain et bien mature pour son âge peu avancé la rendait bien plus vieille qu'elle ne l'était. Il lui aurait donné pas moins de vingt ans, et il avait appris qu'elle venait d'en prendre dix-sept. Peut-être ce vieillissement physique était également dû au SLK?

Pour la première fois de sa vie, Owen s'était surpris à penser profondément à une personne. Non pas comme il le faisait avec son père, avec douleur, respect et détermination, mais avec ce qu'il pensait être de la curiosité qui dépassait les sciences. Il la trouvait jolie. Lui qui ne faisait jamais la distinction entre le beau et le laid, mais plutôt entre l'utile et l'inutile. 

Plus qu'il ne le voulait, Owen était conditionné par la société. Toute notion de plaisir était bannie. Plus de nourriture pour contenter notre palais, plus de plaisir visuel, tout était fait pour être utile et non beau. Tout était fait pour que la vie n'ait pas d'intérêt. Et c'est vrai, Owen n'éprouvait pas d'intérêt envers quelque chose de spécifique, même pas la chimie qui était pourtant son domaine. Mais à partir de maintenant il y avait cette étrange créature féminine. Il n'avait plus vu de femmes depuis longtemps, en classe ils étaient peu, et tous des garçons, interdits de communication avec leurs camarades. S'il y avait des filles, il y avait de la distraction, donc de l'intérêt, et l'Etat ne pouvait le permettre...

Le personnage Meursault de Camus est bien capable de ressentir, même si on ne le sait pas, il reste l'esquisse d'un véritable être humain, n'est-ce pas? De la même manière, notre Owen tant blasé et peu fantaisiste était doué d'émotions, ce qu'il découvrait tout juste. Du moins, ces émotions s'apparentaient à de la fantaisie pour lui. C'était ça. Elle était l'élément déclencheur de sa "fantaisie". Fantaisie qui, même avant la RCM, n'avait jamais émergée. Ou du moins, elle se manifestait par son côté hors-cadre, son petit côté rebelle de lycéen déçu de ce que la vie avait à lui offrir pour le moment.

A force de se concentrer sur son quotidien, sur ses habitudes, et sur cet objectif difficile à atteindre qu'était de trouver la composition de ces seringues si controversées, Owen avait oublié de vivre, de s'interroger, car n'était-ce pas cela la vie, se poser des questions? Car quel serait l'intérêt de la vie sans l'étonnement, sans la curiosité? 

En se levant, Owen avait en tête d'interroger la nouvelle arrivée. Elle était précieuse, elle avait peut-être des informations capitales quant à la situation de son père. Il fallait qu'elle le mène  à lui. Le temps pressait, il lui restait huit jours avant son exécution. Si on s'apercevait qu'il ne s'était jamais rendu à celle-ci il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'on le retrouve. Les frontières du pays étaient fermées. Et tous ceux qui avaient déjà essayé d'y échapper selon ce qu'on raconte avaient été retrouvés et assassinés.

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