Chapitre Un

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Six ans plus tard. 2118.

Jour 0. Maldauvie, Pays F2, anciennement France. 

Owen

Le réveil ce matin était réglé à 4h30 pour tout le monde.

Dix minutes de douche.

Au petit-déjeuner, une seringue que l'on s'introduisait dans le bras pour s'alimenter.

Owen savait parfaitement que ce que contenait cette seringue n'était pas uniquement nutritif.

Et c'est pour cela qu'il ne la prenait jamais.

Il arrivait à trouver de quoi manger dans le courant de la journée, généralement illégalement en faisant appel au dealer du quartier, qui vendait des produits déshydratés et excessivement chers.

Owen était étudiant en chimie. Il avait la particularité de connaître toutes les réactions par cœur, il savait quel produit allait réagir avec quel autre, lequel était un réactif, lequel était limitant. 

On ne pouvait néanmoins dire que c'était sa passion, car le jeune homme n'était intéressé à rien. Il avait toujours été blasé et indifférent à ce qui l'entourait. Un vrai Meursault camusien. Sauf que le jeune homme avait des idées bien arrêtées depuis tout jeune, et qu'il était doté d'une forte intelligence. 

Souvenez-vous, cet adolescent rêveur, avachi sur les marches de son lycée un matin, six ans plus tôt. Cet atypique jeune homme qui souhaitait que son monde change.

Il avait été totalement servi. L'année de son baccalauréat, une crise économique majeure s'était déclarée dans plusieurs pays, un peu comme la crise de Wall Street de 1929, mais dans vingt pays, en dix fois plus puissante et aux répercussions encore plus graves. En effet, depuis cinq ans, aucune fin de crise ne se profilait, le seuil de pauvreté était partout très élevé et la population diminuait dans certains pays. Dans les pays en développement, on mourrait de faim. Dans les pays comme la France, re-baptisée F2 un an après le début de la crise, l'Etat avait mis en place les seringues de SLK, processus inventé des années auparavant en cas de crise alimentaire.

Le problème était le suivant: La population mondiale en 2089 avait subitement connu une croissance affolante, qui s'était continuée jusqu'en 2112, pour atteindre le nombre faramineux de douze milliards d'habitants. Cette croissance était due à la baisse de mortalité. En effet, un chercheur ukrainien avait trouvé des entités chimiques capables de renouveler des cellules humaines infectées, et deux ans plus tard, son homologue américain, en s'inspirant de ses découvertes, fut en mesure de commercialiser illégalement son remède et de l'étaler à différentes pathologies, et également au cas de vieillissement, permettant ainsi de voir le nombre de naissances rester le même tout en baissant le taux de mortalité un peu partout dans le monde. 

Il va sans dire que des mesures furent prises par les différents états afin d'empêcher le développement de ces remèdes. Le surplus de population devenait inquiétant, les villes débordaient de partout, il fallait faire des choix. 

Les médicaments furent donc retirés du marché, les chercheurs arrêtés et emprisonnés personne ne savait où.

C'est là qu'intervient la fabrication du produit de ces fameuses seringues, dont la composition restait secrète. L'Etat français, qui avait à sa tête deux dirigeants, la Présidente Ama Valdon et le Co-Président Marcus Donentin, avait dans l'optique de limiter la croissance démographique, comme dans tous les pays de l'ancienne Union Européenne et aux US50, anciens Etats-Unis, car c'est là que la population migrait le plus.

Le secret sur la composition des SLK étant bien gardé, beaucoup de personnes méfiantes s'abstenaient de les prendre, et beaucoup en mourraient, car la nourriture se faisait rare et chère, et avec la dévalue beaucoup n'eurent plus de quoi subsister.

Le plan des grands dirigeants fonctionnait. Leur purge fonctionnait.

Les populations avaient tenté de se rebeller, en vain. Il fallait faire de la place sur terre, les faibles, les vieillards et les pauvres devaient mourir.

La crise économique n'avait pas eu lieu par hasard, beaucoup en étaient persuadés.

Owen avait observé les changements, sans rien vouloir y changer. Son père médecin l'avait fait pour lui, sauvant le maximum de vies. Il s'était démené de toutes ses forces. Et il en était mort, de manière obscure, laissant son fils sans aucune famille.

L'unique chose que lui avait confié son père était de ne jamais prendre le contenu des seringues. Et d'en découvrir le secret de fabrication.

C'est pourquoi Owen avait souhaité devenir chimiste, afin de découvrir la recette de ces seringues nutritives.

Très facile, diriez-vous?

Hélas, l'Etat était en possession de tous les laboratoires de chimie, et surveillait consciencieusement chaque expérience. Pendant près de cinq ans, il avait donc été impossible à Owen d'aboutir à de quelconques recherches.

La fabrication des seringues était réservée à une unique entité, située à Maldauvie, ville d'Owen. Chaque membre du projet était soumis au secret et n'était pas permis de sortie. On les appelait les prisonniers d'Etat.

Ils étaient tous des scientifiques volontaires, convaincus par la cause qui leur semblait la plus juste; la survie de l'espèce humaine sur Terre, par la sélection "naturelle". Le dosage était savant; les vieux, les pauvres devaient périr, les malades, les dégénérés, les rebelles, les adultes qui n'étaient plus en capacité de donner la vie aussi; les enfants à naître et ceux en dessous de dix-sept ans avaient encore le droit de vivre. Tous les ans depuis cinq ans, l'Etat organisait des exécutions groupées. Elles concernaient donc les adolescents de plus de dix-sept ans qui avaient connu avant la crise, et les rebelles.

Certains, comme Owen, étaient passés à travers le filet, car ils étaient considérés "utiles" à la société.

Mais Owen le savait, il était en sursis. Il était considéré comme utile du moment que ses expériences et ses connaissances servaient à l'Etat. Or, depuis quelques mois, le jeune homme de vingt-trois ans s'était déconcentré de ses études et de ses expériences pour trouver un moyen d'étudier le contenu de ces seringues. Sans grand succès d'ailleurs, faute de moyens.

Ne les consommant jamais, il en gardait un petit stock, tout en veillant à en vider quelques-unes pour ensuite les jeter dans ses ordures, histoire qu'on ne l'accuse de rien.

Ce qui lui fallait, c'était parler avec un consommateur de ces seringues. Le problème était qu'en sa qualité d'"utile à la société", il n'avait pas le droit de communication. C'était condamné par la nouvelle loi de la Présidente Valdon, car considéré crime de haute trahison, pour une raison obscure.

Il devait tester une seringue, il le savait, mais il avait peur de son effet, et surtout ne souhaitait absolument pas désobéir à son défunt père. Les vœux des morts, c'était bien trop sacré.

C'est avec un pli de contrariété qu'Owen s'était éveillé ce matin.

Se préparant pour ses cours de chimie de la matinée, il s'apprêta à revêtir sa blouse rouge d'étudiant pour l'Etat lorsqu'il reçut une notification sur sa montre connectée.

"Monsieur Owen Harouet,

L'Etat Français a le déplaisir de vous annoncer qu'il vous retire le statut qu'il vous a attribué le 28/01/2115. Vos travaux et votre application ont su apporter au pays F2, néanmoins il est temps pour vous de laisser la place à vos cadets. Vous êtes convoqué le 05/05/2118 au laboratoire Laborama au 10, place des Martyrs, Malauvie pour la remise de votre certificat de service à l'Etat

Bien cordialement,

Hervé Tran, secrétaire général de la RCM."

Tremblant, Owen s'adossa et se laissa glisser contre le mur.

Ca y est, il l'avait reçue. Sa condamnation à mort. 

Et il ne lui restait que dix jours.

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