Chapitre Trois

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Jour 1 

Maya

Elle s'était organisée de manière à ce que personne ne la remarque sortir avec son sac de voyage. 5h10, la voisine partait au travail, 5h30, c'était son mari, elle avait donc vingt minutes de battement entre les deux.

Sa mère n'avait pas voulu l'accompagner, trop peureuse et sûrement défaitiste quant à son sort.

Maya comprenait sa mère. Du moins, elle se mettait à sa place et respectait son choix. Celle-ci avait toujours vécu dans la crainte et la tête baissée, toujours discrète et presque soumise à son mari et aux règles imposées par la bienséance. Elle ne se posait jamais de questions. Sa fille était différente; elle savait se plier aux règles mais n'en pensait pas moins. Si elle avait le choix entre attendre sa mort et agir, elle agirait forcément. Quitte à y laisser sa vie pour tout dénouement.

Les membres de la famille de Maya étaient assez dispersés dans le territoire. Elle n'avait plus eu de nouvelles de certains d'entre eux, probablement car ceux-ci étaient morts.

Elle savait néanmoins que son parrain, Aurélien, vivait dans les alentours de Maldauvie, qui était la ville la plus importante de la région. Elle avait donc pour but de le rejoindre afin de se cacher chez lui, car celui-ci avait l'art et la manière d'échapper à l'Etat et savait disparaître comme personne. De ce qu'elle avait cru comprendre, c'était un rebelle qui dealait de la véritable nourriture, jusqu'ici réservée aux dirigeants et aux très riches.

Maldauvie était à quelques heures en vélo. Peut-être quatre heures, si Maya pédalait rapidement. Son sac était un peu lourd dans son dos, mais la fraîcheur du petit matin allait l'aider à franchir tous ces kilomètres. Etant donné l'heure, personne ne ferait attention à elle, elle ne serait pas soupçonnée de fuite, c'était parfait.

Maya avait étreint une dernière fois sa mère, embrassé du regard leur petit pavillon clarvalonais et s'était éclipsée sur sa bicyclette toute rouillée. Sans un regard en arrière.

Run for your life.

Owen

Jour 1

« Dans la vallée oh oh de Dana lalilala

Dans la vallée oh oh j'ai pu entendre les échos»

– Comment est-ce qu'on peut écouter ce genre de musique encore en 2118 putain, quel est l'abruti qui écoute du Manau ?

– Je crois que c'est Rael... Il est un peu "nostalgique" d'une période qu'il n'a jamais connu... 

Owen écoutait ses compagnons parler -pour ne rien dire d'ailleurs- tandis qu'il s'affairait à remplir la camionnette des marchandises détournées dudit Rael, le dealer qu'il avait l'habitude de fréquenter. Tandis qu'il soulevait les sacs remplis de tomates, carottes, viande séchée, boîtes de conserve et autres denrées aussi rares que chères car prohibées, le jeune homme repensa aux dernières heures qu'il avait passées, d'abord son rendez-vous avec Rael, puis sa fuite à ses côtés. Rael était intouchable. Personne ne voulait dénoncer son activité, pourtant considérée comme illégale, car il s'opposait à la RCM, et personne n'aimait le nouveau régime en vigueur, et pas plus les deux dirigeants Valdon et Donentin.

Ils étaient moins d'une demi-dizaine à s'être ralliés à lui, et tous savaient qu'ils n'avaient plus rien à perdre. Il y avait Nathan, un ancien plombier d'une quarantaine d'années, le plus vieux de la bande, Hakim, son fils seulement âgé de quatorze ans, Basile, un vieil ami de Rael, , Owen et bien-sûr Rael, qui du haut de son mètre soixante-dix et de ses trente ans ne payait pas de mine. Owen n'était pas surpris que le groupe soit si restreint. Bien que la population dans son ensemble soutenait les rebelles, -excepté les favorisés, les êtres les plus détestés de la planète, ceux qui ont été décrétés aptes à vivre- personne n'avait le courage de suivre le mouvement. Mais rebelles était peut-être un terme trop fort pour désigner le petit réseau illicite de Rael. Bien-sûr, ils ne respectaient pas le gouvernement, mais c'était la seule chose qu'ils faisaient. Si seulement quelqu'un avait la force de lever une armée pour le renverser...

Owen se surprenait depuis la veille. Il commençait à avoir des idées d'idéalisme, lui qui plus jeune rêvait du chaos.

Le jeune homme fut interrompu dans ses pensées par une forte tape administrée par Basile, qui mis son bras vigoureux sur les épaules de son cadet.

– A quoi tu penses beau gosse ? Ta copine te manque ? T'en fais pas, si elle était un tant soit peu intelligente, elle t'aurait accompagné, elle se serait jointe à la bande. Oublie-la.

– J'ai pas de copine, rétorqua Owen en grimaçant, enlevant le bras de son camarade.

– Ah je vois... T'es pas de ce bord. No problem choupinou, l'homophobie c'était à la mode y a plus d'un siècle.

Owen s'écarta de la camionnette, qu'il venait de finir de remplir, pour soupirer avant de passer sa main dans ses cheveux noirs de jais.

– Écoute, choupinou, déjà tu peux te garder ce sobriquet pour toi, ensuite je ne suis pas gay. Et avant que tu sautes à une autre conclusion, je ne suis pas eunuque non plus.

Basile s'esclaffa, s'apprêtant à remettre une bourrade à Owen, que celui-ci s'empressa d'éviter en s'éloignant.

– Détends-toi Oui-Oui ! C'est pas une honte d'être puceau ! lança Bourrade-man en refermant les battants de la camionnette.

Owen leva les yeux au ciel et continua à marcher, tout en allumant une cigarette, dont il tira une taffe.

Il n'avait pas véritablement fumé depuis ses années lycée. Il ne savait pas trop pourquoi il s'y remettait, mais ça l'occupait.

Ils étaient en pleine campagne. La seule habitation était la maison ancienne de Rael. Il n'y avait pas de vache dans le coin. Seuls les favorisés avaient le droit d'en posséder. Il était de notoriété publique que les bovins produisaient du gaz à effet de serre. Alors crac, décimation massive de ces pauvres bestioles. Un autre génocide banalisé.

La campagne était bien trop maussade sans vie, pensa Owen en s'accoudant à une barrière dont le bois pourri était imbibé d'eau et de moisi.

Il lui sembla apercevoir un point bouger au loin. La vue du jeune homme n'avait jamais été très bonne, aussi celui-ci se saisit de ses lunettes qu'il posa sur le bout de son nez afin de mieux distinguer ce point mobile.

Il avait disparu.

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