Chapitre 6

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Il y eut comme un temps de suspension. J'étais là, immobile sur les pavés de la rue.

Incapable de parler.

Le soleil s'était couché derrière les vagues. Je sentais mes sens s'aiguiser par mille. La fraicheur du vent me faisait frissonner. La chaleur qui se dégageait de ma poitrine était intense.

Ana m'a aperçue, malgré ses yeux embués de larmes. Elle a esquissé un drôle de sourire, avant de se détacher lentement de ce garçon qui m'en avait fait voir de toutes les couleurs. Il s'est d'ailleurs retourné, avec lenteur. Ses yeux verts m'ont dévisagée d'un air déterminé, ou peut-être juste résigné.

J'ai senti mon sang refluer de mon visage. Le noeud qui me saisissait les entrailles s'est resserré à tel point que je croyais étouffer. Le coin de mes yeux s'est mis à brûler.

Et puis soudain, la digue que j'essayais de maintenir s'est effondrée sous une vague, une tempête, un tsunami de sentiments contradictoires et puissants qui m'ont totalement déstabilisée.

J'ai perdu pied.

Je me suis précipitée vers Théo.

J'étais en colère. Furieuse. Toute ma rancoeur, toute la haine que je ressentais en cet instant précis... Je les ai mises dans mes doigts.

Doigts qui se sont enfoncés avec une brutalité sans nom dans la poitrine de Théo, qui n'a pas bronché, malgré le bruit mat qui a retentit à mes oreilles, accompagné de mon cri de rage.

_ Mais t'étais passé où, sale con ?!

J'y suis peut-être allée un peu fort. Mais sur le moment, je m'en fichais.

Toutes ces nuits passées à fixer l'écran de mon téléphone en attendant un quelconque message. Toutes ces nuits passées à attendre des réponses aux questions que je me posais sans relâche, qui tournaient, encore et encore, dans mon cerveau. Toutes ces nuits passées à pleurer dans mon lit parce que les doutes et la peur permanente devenaient beaucoup trop insupportables à gérer.

_ Comment t'as pu nous faire un truc pareil ?!, me suis-je écriée, tremblante.

Je comptais me lancer dans des tirades d'insultes quand je me suis rendue compte de son air fatigué. Horriblement, terriblement fatigué.

Ses yeux verts ne brillaient plus de la même façon qu'autrefois. Je pouvais y lire une souffrance qui s'y était sûrement installée depuis un moment déjà.

Il allait mal.

Le dragon qui rugissait dans ma poitrine s'est calmé dès que ces mots acerbes ont percuté mon esprit.

Dans mon élan de fureur, je ne l'avais pas remarqué.

Couverte de remords à l'idée de m'être emportée contre lui, et de honte, je me suis jetée dans ses bras.

_ Pardon...

Ma voix était presque étranglée par des sanglots que je ne parvenais plus à contrôler. Je le serrais à lui faire mal, mais je ne parvenais pas à calmer la peur qui me saisissait les entrailles.

Je perdais la tête. Trop d'émotions... Trop...

Il a soudain refermé ses bras autour de ma taille. En enfouissant son visage dans le creux de mon cou.

Je sentais ses larmes dégouliner dans mon dos.

_ Je suis désolé...

Sa voix brisée a terminé de m'achever. Je me suis laissée aller contre son torse. Mes poings agrippaient sa chemise.

La colère froide avait été remplacée par une terreur et une joie qui me faisaient perdre la tête.

Je n'arrivais plus à réfléchir correctement. J'étais incapable de formuler une pensée. Incapable de réaliser qu'il étais là. Que je le tenais dans mes bras. Que son souffle haché par les larmes soulevait les cheveux de mon cou.

Le monde aurait pu exploser. La troisième guerre mondiale se déclencher. La plage se faire bombarder.

Je ne l'aurai même pas réalisé.

Au fil des minutes, mes pleurs se sont calmés. J'essayais de regagner mon souffle, le visage toujours collé contre sa poitrine, près de son coeur, qui battait à toute vitesse contre mes oreilles. Je sentais à présent une brise tendre qui venait me caresser la peau de mes bras. J'ai frissonné quand j'ai réalisé que j'avais froid.

Et le monde s'est remit à tourner.

Le remous incessant des vagues a soudain assailli mes oreilles. Le sifflement du vent qui l'accompagnait me vrillait les tympans. Et j'ai réalisé que les lumières du phare tournaient à présent bien autour de nous, éclatantes, magnifiques, perçant la pénombre du ciel d'encre qui s'étendait à présent à l'horizon.

J'ai prit une grande inspiration, me rendant compte de la présence d'Ana, qui s'était discrètement écartée vers le lampadaire. Elle me regardait, un sourire tendre étirant ses lèvres.

Je me suis sentie devenir plus rouge que mes tâches de rousseurs. Mon cerveau s'est remit à marcher et j'ai prit conscience qu'on était restés enlacés comme ça pendant une dizaine de minutes.

Je me suis dégagée avec douceur, toute colère envolée.

La joie de le retrouver était à présent si forte que je ne parvenais plus à retenir un sourire débile. J'aurai pu dire des choses mille fois plus romantiques, magnifiques ou mémorisables.

Le problème, c'est que je n'ai rien fait de tel.

_ Au moins, y a une chose que tu as pas manqué.

_ Ah...?, a-t-il répondu, en esquissant un petit sourire intrigué.

_ Ouais. La bouffe de la mère d'Ana est toujours aussi dégueulasse.

Et là, j'ai eu l'impression qu'un poids se retirait de mes épaules quand il a rit sous le regard meurtrier d'Ana.

_ Riez, riez, a-t-elle grogné. Mais je vous rappelle que vous êtes incapables de faire cuire des pâtes.

Mais elle a esquissé un sourire.

Et soudain, elle nous a saisit par le bras avant de nous tirer vers la berge.

_ Venez, bandes d'abrutis !, s'est-elle exclamée en nous poussant vers le sable. Une promenade s'impose ! Faut fêter nos retrouvailles dignement !

Et elle m'a lancé un regard qui signifiait clairement une chose.

Les questions attendront.

Le Dernier SoirWhere stories live. Discover now