Chapitre 2

903 32 16
                                    

Lorsque Jade se réveilla, elle eut l'impression que le même jour s'écoula indéfiniment. Derrière les rideaux de sa chambre en désordre, elle distingua les lumières des lampadaires. Elle se souvint avec un pincement au cœur des lueurs du soleil qui la réveillaient doucement, chaleureusement. C'était il n'y a pas si longtemps, pourtant.

Son père était assis à la table de la salle à manger. Comme à son habitude, il était déjà prêt à partir au travail. Ses cheveux poivre et sel ainsi que les rides sur son front témoignaient de son âge que l'on pouvait aisément sous-estimer. Mordant dans sa dernière tartine, il adressa un bonjour à sa fille dès qu'il posa les yeux sur elle. Jade lui sourit naturellement et déposa un baiser sur sa joue.

— Café ?

Jade fit une grimace.

— Le jour où je bois ça, fais-moi plaisir, montre-moi des photos de la superbe dentition d'un toxicomane.

La remarque de Jade déclencha l'hilarité chez son père. Jade attrapa une boîte de chocolat noir en poudre dans l'armoire.

— Il peut t'arriver la même chose, voire même pire, si tu te goinfres d'opéra.

— Déjà, je ne me goinfre pas. Ensuite, l'opéra c'est sacré, je lui retirerais tout son intérêt si c'était le cas. Aux anniversaires, c'est suffisant.

— En parlant de ça, tu as des nouvelles de ta mère ?

Jade s'assit en face de son père et leva les yeux au ciel.

— Tu sais bien que j'en ai trois fois dans l'année. C'est pas encore Noël.

Son père resta silencieux face à cette remarque, mais elle pouvait voir la désapprobation dans son regard. Jade se sentit un poids en elle se former, elle savait bien que son père s'inquiétait pour elle.

— Elle a envoyé sa propre carte de condoléances, c'est déjà ça, ajouta-t-elle. Si j'étais en manque d'attention maternel, je devrais sans doute m'occuper d'Hélène ou de Mélinda.

Guillaume se leva de table en esquissant un sourire.

— J'ai bien peur que ça ne fasse de toi une psychopathe, ma chérie.

— On s'en fiche, c'est la faute de la mère, selon toute hypothèse freudienne.

— Vous apprenez les théories de Freud en cours ?

— Non, j'ai lu un de ses livres, et franchement, je rangerais ça dans la catégorie porno soft.

Son père frappa légèrement la tête de Jade avec le torchon de vaisselle.

— Hé ! J'y peux rien, tout tourne autour de libido et de pulsions sexuelles avec lui !

— Prends tes pulsions avec toi et allez donc sortir les poubelles en allant au lycée.

— D'accord. Surmoi et moi on va se faire ça.

Guillaume sourit. Il savait que l'humour de sa fille l'aidait à traverser les périodes difficiles, mais il en était également la source. Leur relation avait une solide base de complicité. Lorsque sa mère se remaria, il resta des heures à sécher les larmes de ses deux filles. Iris s'étant installée dans une plus grande ville pour poursuivre ses études de commerce, Jade et lui se retrouvèrent seuls. Ils continuèrent à partager de bons moments, malgré le travail prenant de Guillaume.

Jade termina son déjeuner et s'empressa de se préparer. Son père s'en allait toujours avant elle, elle avait l'impression de le voir moins souvent. L'hôpital était en sous-effectif et le personnel soignant était réquisitionné plus fréquemment qu'à d'autres époques.

𝑬𝒏𝒕𝒓𝒆 𝒍𝒆𝒔 𝒍𝒊𝒈𝒏𝒆𝒔 (Prof/Élève)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant