-1- Les Volontaires

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Elles n'étaient pas tellement nombreuses, les nouvelles recrues dont la route, commencée tôt le matin même non loin d'Indianapolis, menait droit vers le front de Virginie et de Caroline du Nord.

A dire vrai, l'escouade des enrôlés volontaires de l'armée de l'Union, prêts à endosser le rôle de cavalier au sein de la 33ème compagnie de cavalerie, ne comportait que l'insignifiant chiffre de deux engagés. Un duo et leurs chevaux respectifs qui traversait le Kentucky d'un trot léger, harnachés de tout l'équipement qu'on avait pu leur fournir, et portant sur eux, dans un pli de leur uniforme bleu foncé, leur lettre de recrutement.

Concentrés sur le chemin de terre, censé les acheminer à bon port, et sur la maîtrise d'animaux à l'humeur espiègle, les deux hommes ne parlaient pas beaucoup, et, à défaut de longs discours, ne s'échangeaient que des dialogues monosyllabiques sans grand intérêt. Le paysage, lui, variait entre les longues parcelles de champs des paysans du Kentucky, leurs habitations et de grands arbres, au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient de la frontière de l'Ohio, qu'ils devait longer pour arriver en Virginie. Parfois, un riverain amical leur faisait un vague geste de sympathie avec la main ou alors quelques bambins ouvraient des yeux grands comme des soucoupes à la vue des sabres de cavalerie neufs et brillants. Tout cela donnait du baume au cœur aux deux nouvelles recrues. L'un d'eux, le plus jeune, se déridait doucement, et se permit même une plaisanterie, qui se perdit dans le vent. De toute évidence, son compagnon, de quatre ans son aîné, n'avait pas le cœur à rire. Le visage maussade, surmonté de cheveux noirs plutôt courts, il semblait plongé dans ses réflexions. Le plus jeune, pensant qu'il n'avait pas comprit, ou même simplement pas entendu, répéta une seconde fois, espérant une quelconque réaction de la part de l'autre cavalier. Celui-ci lança un regard désobligeant au premier, puis haussa les épaules et riva pour une seconde fois les yeux sur la route caillouteuse. Ce dernier s'adressa donc directement à son compagnon de route :

« Hé, fais pas cette tête ! C'est à cause de mon insigne que tu m'en veux ?

En effet, la plus jeune des deux recrues arborait, sur les épaules de sa tunique, un galon de caporal. L'autre hommes, simple soldat, ne disposait d'aucunes distinctions particulières.

- Tu sais c'est rien ! Juste de la déco en plus ! Et puis personne ne va t'en vouloir juste parce que j'ai mieux réussi les tests que toi !

Une expression ingénue et ennuyée par le mutisme du soldat animait le visage du caporal. Celui-ci avait, en effet, gagné son galon grâce à son obéissance et à un certain zèle, qui l'avaient fait sortir du rang, lors de la brève formation qu'ils avaient reçu.

- Allez ! Tu va pas gâcher une belle journée comme ça juste à cause de ton caractère de cochon ! Tu sais, la jalousie ça mène strictement à r...

- Ta gueule.

C'était la première fois que le second cavalier desserrait les dents depuis que le jeune caporal avait commencé à parler.

- Pas la peine d'être désagréable !

- Tu m'échauffe les oreilles...

Ces derniers mots, le second cavalier les avait prononcé dans sa barbe, mais assez fort pour que le jeune gradé entende.

- On verra bien si je t'échaufferais les oreilles une fois arriver au camp ! Non mais c'est pas possible ! Tu fais la tête pour un pauvre grade, je te comprends pas...

Le soldat poussa un profond soupir las.

- Quand est-ce que tu comprendra que ce que j'ai n'a rien à voir avec toi ?! Fous moi la paix avec ton grade, c'est le cadet de mes soucis !

Le caporal ouvrit la bouche mais rien n'en sorti. Il éloigna un peu son cheval de celui de son compagnon de route, se plongea dans une petite réflexion, l'affaire de courtes minutes, , puis, après avoir laissé passer un ange, changea d'angle d'attaque :

- Je vois, je vois... Hum... Euh, je sais pas si on s'est déjà rencontré pendant la formation, mais mon nom c'est Tomas, enchanté.

Le dénommé Tomas lâcha la bride d'une main et tendit la main maladroitement vers l'autre homme, un sourire maladroit, mais qui se voulait avenant, sur le visage.

La seconde recrue le fixa d'un regard de dépit, de toute évidence son cadet n'avait rien à voir avec son humeur, et il lui aurait été inutile de se brouiller avec un compagnon d'arme, il tendit la main à son tour.

- Dean.

- Enchanté alors, Dean ! Dis moi, on fait une pause bientôt ? Je ne sens plus mes jambes ! Tu pense que le premier campement est loin ?

En guise de réponse, le Caporal Tomas Tranksen ne reçu qu'un soupir exaspéré de son subordonné.

Boulet RougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant