-2- Le Caporal, Le Joueur Et Le Géant

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La réponse à la question du jeune homme n’allait pourtant pas tarder à se matérialiser. En effet, non loin de la route, derrière une rangée d’arbres, une fumée se dégageait, et avec elle, une légère odeur de viande qui n’était pas sans rappeler celle des rations que les deux recrues gardaient dans leur paquetage. Au fur et à mesure que les deux hommes se rapprochaient, le fumet se faisait plus tenace, et des éclats de voix leur parvenaient. Ils étaient arrivés à la première étape.

La compagnie ainsi rejointe était originaire de l’Ohio, et devait rejoindre sous peu le front au sein du 11ème régiment d’infanterie. Les soldats et leur campement, installés dans une grande clairière, bruissait de conversations et de plaisanteries en tout genre, ainsi que du tintement des écuelles métalliques. La discipline de la petite centaine de recrues « Buckeye » se relâchait l’espace d’un repas, et c’était un plaisir pour l’officier supérieur Mc Cook que de voir les visages de ses hommes, tous des volontaires qui avaient engagés leur vie à la défense de leur État, s’épanouir un instant. Celui-ci, appuyé sur un essieu de charrette, s’apprêtait à porter le goulot de sa gourde à ses lèvres quand il vit arriver les cavaliers. Avec un soupir il renonça à boire et vint à la rencontre des deux hommes qui avaient mit pied à terre en entrant dans le campement et tentaient de se frayer un chemins entre les bivouacs des soldats. L’officier avisa le galon d’un des cavaliers et l’interpella :

« Caporal ! Bienvenue, quel bon vent vous amène ?

Même si Mc Cook, du haut de ses quarante ans, arborait un visage souriant de bon père de famille, il n’ignorait pas que l’arrivée de deux soldats à cheval n’était pas forcément une bonne nouvelle pour lui et sa troupe. On était pas à l’abri d’un ordre imprévu qui enverrai la compagnie, partie fleur au fusil, directement ad patres. L’individu interpellé vint se planter devant lui, raide comme un piquet.

- Bonjour capitaine, nous sommes simplement de passage, je pense que vous avez dû être prévenu de notre arrivée puisque c’est l’état-major d’Indianapolis qui nous envoie. Nous avons ordre de vous transmettre ce courrier et de se mettre à votre disposition avant de rejoindre les premières lignes !

Le tout avait été récité d’une traite par le caporal, qui semblait avoir apprit sa leçon par cœur. Le simple soldat qui l’accompagnait s’était, lui, détourné de la discussion, et semblait tenté de rejoindre un groupe de fantassins au repos, qui jouaient au cartes, affalés dans l’herbe. Daniel Latimer Mc Cook regarda le duo en levant un sourcil, puis prit la lettre que lui tendait le jeune gradé, la lu rapidement et laissa apparaître un soulagement en demi-teinte. La nouvelle n’était pas la catastrophe qu’il avait pressenti.

- Je vois, je vois, veuillez me suivre je vous prie. Ah, et votre compagnon peut rester jouer avec mes hommes si ça lui chante, j’ai l’impression qu’il en meurt d’envie.

Si le caporal devint rouge pivoine, Dean ne se fit pas prier et héla le groupe de joueurs qu’il reluquait depuis son arrivée.
Le capitaine le regarda partir en souriant.

- Les soldats sont de grands enfants, finalement, il suffit de peu pour les contenter… Si nous en venions au fait, caporal ?..

- Euh… Tranksen, Monsieur.

- Bien, alors dites moi, caporal Tranksen, vous savez pourquoi vous avez été envoyé ici ?

- Euh, je crois bien, Monsieur, Dean et moi sommes envoyés en première ligne, rejoindre la 33ème compagnie de cavalerie à laquelle on nous a assigné.

- Donc ils ont vraiment concrétisé leur délire de faire revivre la 33ème… Soit. Mais enfin, caporal, si l’on vous a envoyé me voir c’est pour une raison précise, vous savez laquelle, je suppose ? Non ? Vraiment ?

Le caporal secoua négativement la tête.

- Bon… Suivez moi.

Et l’officier de se diriger rapidement vers le centre de la clairière, Thomas Tranksen, intrigué, sur ses talons. Tentant de savoir où le Capitaine le menait, il remarqua rapidement, entre les crépitements des  feux de camp et les rires, des raclement sonores et des souffles rauques. Ceux-ci provenaient d’un grand trou, entouré de soldats en faction, à l’intérieur duquel trois hommes, torses nus, creusaient. Mc Cook se mit à siffler et les hommes stoppèrent leur labeur pour se tourner vers l’origine du sifflement. Les trois étaient en sueur, et ne semblaient pas très enchantés d’avoir atterri « au trou », cependant ils tentèrent avec plus ou moins de succès d’aborder un sourire affable devant leur Capitaine.

- O’Figgle, c’est pour toi.

Un homme solidement bâti aux cheveux et à la barbe brun-roux s’extirpa du trou à pas lents.

- Oui, Capitaine ?

- Tu étais cavalier avant de finir là-dedans, non ?

D’un mouvement de menton, il désigna le trou où les compagnons d’O’Figgle se reposaient sur leurs pelles.

- Ouais Capitaine, j’étais dans la 4ème du Vermont.

- Bien ! Tu reprends du service, l’état-major de l’Indiana t’envoie en première ligne, prépare tes bagages, le petit caporal que tu vois là t’y emmène en aller simple.

L’homme, qui devient bien faire une bonne tête de plus que le Capitaine, considéra en silence l’ordre qui lui était donné, puis se dirigea vers le soldat le plus proche auprès duquel se tenait un tas de vêtement, enfila une chemise salie par la terre, puis demanda la permission d’aller récupérer ses affaires.
Après avoir acquiescé à sa demande et renvoyé les autres hommes à leur labeur, Mc Cook se tourna vers son subordonné.

- Je pense que vous devez l’avoir compris, Tranksen, il s’agit de votre nouveau subordonné. Ça n’est pas un mauvais bougre mais il a un problème avec ses nerfs… Et avec sa conception d’honneur, mais ça doit lui venir de son sang irlandais, je suppose...

- Qu’a-t-il fait pour se retrouver là ?

- Son régiment avait une semaine de permission près d’Aberdeen, ils se sont un peu laissé aller et voilà qu’O’Figgle, ivre, s’entiche d’une femme. Un civil, arrive sur le coup, ivre aussi, s’approche un peu trop de la femme du goût de notre Irlandais, ce que ce dernier s’empresse de lui faire signifier, les insultes ont fusées et ça s’est transformé en rixe… Le problème c’est qu’on a pas pu déterminer qui d’O’Figgle ou du civil a donné le premier coup, mais ce qu’on sait c’est que ce dernier a eu les os de la main réduits en miette par notre soldat, il a donc été arrêté. Son Capitaine ne voulait plus le voir et préférais le voir moisir dans une geôle communale, mais j’étais dans le coin avec ma compagnie, et je ne suis pas du genre à abandonner un soldat, surtout quand celui-ci a su faire ses preuves ; c’est qu’il faut pas gaspiller le peu de force dont on dispose…  Alors je l’ai récupéré dans mes rang, mais bon, un cavalier ça n’est pas un fantassin, donc il n’a pas vraiment sa place ici.

- Je vois.

- Il n’est vraiment pas méchant, et puis, si il est bon cavalier, il sera bien plus utile en première ligne qu’à creuser des trous qui gâchent le paysage !

Le retour brusque du géant irlandais coupa court aux discussions des deux hommes, et le Capitaine raccompagna les cavaliers à l’entrée du campement. Ils y retrouvèrent Dean, un air las sur le visage.

Il apparu bien vite que le jeune homme avait perdu de la menue monnaie en jeu et qu’un si prompt départ ne lui laissait pas le temps de se refaire, ce qu’il regrettait amèrement. Un salut d’usage s’échangea entre les deux soldats pendant que Rob O’Figgle sellait son cheval, mais ce ne fut pas pour autant que les langues se délièrent. Le Caporal, lui, salua chaleureusement le Capitaine, avant de diriger sur la route qui le menait,lui et son petit groupe, en direction des premières lignes.

En voyant, au loin, les trois silhouettes et leurs tuniques bleues disparaître petit à petit, englouties par le chemin et ses herbes folles, Mc Cook repensa à leurs trois visages, tous plus jeunes les uns que les autres, envoyés sans connaissance de cause à la boucherie…

- Bonne chance les gars, la seule chose que je peux faire pour vous, c’est prier.

A ces mots, l’aide de camp du Capitaine esquissa silencieusement un rapide signe de croix.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 24, 2019 ⏰

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