C'était une journée exécrable. Il devait être aux alentours de treize heures et l'on n'y voyait pas davantage que si l'on fût plongé dans la plus noire des nuits. Une véritable purée de pois bloquait toute vision aux yeux les plus acérés à plus de deux mètres et la pluie n'avait cessé de tomber depuis l'aube. Tel climat rendait peu surprenante l'abondance de verdure, bosquets et forêts qui couvraient la région. Et ce temps que d'aucuns auraient jugé invivable au delà d'un mois était lot commun dans le Nord en cette fin d'automne. Bientôt le blanc couvrirait le vert. Mais pour l'heure c'était de grosses gouttes de pluies qui chutaient du plafond de nuée grises dominant les cieux.
Déchirant l'épaisse couche de brouillard, une cavalière juchée sur un étalon d'ébène progressait sur un petit chemin de terre sinueux. Le visage masqué par l'ombre d'une large capuche bleue nuit dégoulinante d'eau, elle gardait la tête baissée, subissant silencieuse les assauts et caprices du temps. Que pouvait-elle faire d'autre...
Les sabots de la monture s'enfonçaient dans un bruit de succion au travers de la masse boueuse qu'était devenu le chemin.
L'inconnue rajusta le foulard blanc qui couvrait la partie inférieure de son visage tandis qu'elle progressait à présent sur une pente douce s'élevant de quelques degrés. Un bref éclair suivi d'un grondement sourd dévoila l'espace d'un instant la forme noire d'une haute forteresse. Les yeux écarlates de la femme se plissèrent et, d'un coup de talon elle fit accélérer l'allure de son étalon.
Malgré les intempéries et le bourbier qu'était le chemin, il ne lui fallut que quelques minutes pour arriver face à l'impressionnante bâtisse.
Un vent glacial faisant ployer le feuillage des arbres les plus robustes se leva alors. Si il s'infiltrait sous les vêtements de la jeune femme, jusqu'à faire frissonner sa peau, il eût l'avantage de disperser une grande partie de la brume. La cavalière put alors détailler plus en détaille la citadelle. Faite de pierres grises elle s'élevait en son point le plus haut, le donjon sur cent trente et un pieds. La Forteresse de Hurlevent était loin d'être la plus belle. Rustique et sans ajouts esthétiques inutiles elle avait prouvé maintes fois par le passé pouvoir soutenir des sièges de plus de deux sans jamais céder.
Située au bord d'une haute falaise s'élevant à cent quatre-vingt seize pieds au dessus d'une mer noire déchaînée, elle semblait avoir été posée là par la main de l'un de ces prodigieux géants chantés dans les contes.
"Qui va là, chevauchant par delà tempête et brouillard !?" Tonna une voix puissante descendant depuis les remparts surplombant l'épaisse porte de la citadelle.
"Xélina Achillée s'en venant répondre à l'appel du seigneur de Hurlevent, Robert le Fort !" Répondit la cavalière en levant ses yeux vers l'imposante porte, de pierre et de bois. Elle ne distingua point le garde, mais perçu bel et bien le cliquetis des armes. S'attardant brièvement sur une bannière flottant au gré des vents, une tête d'ours blanche de profil sur fond brun jusqu'à ce que la voix s'éleva de nouveau."Le Seigneur Robert, l'Ours de Hurlevent vous souhaite la bienvenue, Xélina Achillée !"
Le bois grinça, les chaînes se tendirent et l'imposante porte de Hurlevent s'ouvrit, dévoilant deux gardes à la barbe hirsute armés de hallebardes qui invitèrent d'un geste bourru de la main la cavalière à pénétrer les lieux. Xélina tourna sa tête à droite, puis à gauche. Le chemin de falaise menant à Hurlevent n'était pas plus large cinq mètres et donnait une vue imprenable sur la mer noire déchaînée en cette journée de tempête...
La cavalière pénétra sans s'attarder sur ce spectacle mis en scène par la Nature pour le plaisir des dieux tandis que les gardes de Robert renfermaient l'imposante porte derrière elle.
Accompagnée de l'un des gardes, elle rejoignit une petite place ronde. En son centre de trouvait un marché entourant une statue de pierre noire représentant un ours à l'air féroce et revêche dressé sur deux pattes. Au delà de ce marché se trouvait, disposées en cercle divers habitations et échoppes rustiques percées par diverses ruelles sinueuses dont l'une menait au château de Robert.
Xélina descendit avec dextérité au bas de sa monture. Elle vint flatter son encolure puis tendit les rênes à un garçon d'écurie qui emporta le cheval qui, aussi robuste qu'il fût était harassé par ce long voyage.
Le garde à la barbe rousse parsemée de blanc vint se placer à la hauteur de Xélina.
"Je vais vous mener en la demeure de Robert, étrangère." L'interpellée se contenta de hocher sa tête et emboîta le pas à l'homme d'arme qui s'engagea en direction du château s'élevant au dessus de tout autre bâtisse en la forteresse. Sous le regard curieux de la plupart des habitants qu'elle croisait en chemin, des paysans et artisans pour la grande majorité, sans s'attarder sur cette population, elle se retrouva bien vite dans le hall du château de Robert. Xélina ne s'était pas attendu à trouver tant de tapisseries représentant diverses scènes de chasse, batailles et oriflammes... Tissées avec talent et savoir dignes des plus grands artisants.
"Madame." Un valet vêtu de brun et coiffé d'un chapeau noir s'inclina, prenant le relais du garde bourru. "Permettez que je vous mène à vos quartiers. Le voyage à dû être long." Xélina détacha ses yeux écarlates du hall pour les tourner vers le vieux valet au regard d'Azur.
- La pluie m'a retardée.
- Je m'en doute bien ; la saison n'est guère propice aux voyages en notre contrée.
- J'ai connu pire.
- Évidemment, Madame. Le valet sourit poliment en s'inclinant avant d'ajouter."Si vous voulez bien me suivre." La jeune femme acquiesça et suivit l'homme en brun jusqu'au grand escalier de bois et de pierre trônant dans le hall.
Après une ascension de trois étages, Xélina se trouvait dans une petite chambre au somme de la tour Est du château. Elle soupira de contentement, ferma la porte derrière elle et ôta sa capuche, dévoilant une chevelure qui tomba en cascade nacrée jusqu'au dessus de ses épaules. Elle se débarassa également de l'entièreté de sa tenue de voyage qu'elle plaça face à un feu de cheminée dont elle profita un long moment de la chaleur, assise en tailleur face à ce dernier dans le plus simple appareil. Sa peau était blanche, presque autant que ses cheveux et barrée de fines cicatrices en de nombreux endroits, stigmates de ses combats passés. Tout comme son physique et ses courbes athlétiques qui en étaient le résultat. Perdue dans ses pensées, son regard de vermeil se perdit alors sur l'unique fenêtre de la pièce. Si celle-ci était minuscule et austère, elle offrait une vue imprenable sur la Mer du Nord, s'étendant, masse noire infinie à l'horizon.
Finalement après un bref instant contemplatif, elle se dressa puis pénétra dans le bain chaud que l'on lui avait fait préparé en prévision de son arrivée. Satisfaite elle grogna puis ferma ses yeux alors que son corps transi par la morsure du froid plongeait dans l'eau brûlante. Cela faisait des semaines qu'elle n'avait été dans un bain chaud. Elle en avait même oublié cette douce sensation de chaleur qui s'emparait progressivement de son être.
Elle n'en sorti qu'une demie-heure plus tard. La jeune femme revêtit ses vêtements à présent secs et en profita pour faire le compte de ses armes posées avec soin sur le lit. Une dizaine de couteaux de lancer, quelques sphères de fumé, deux dagues et une épée bâtarde. Satisfaite elle hocha sa tête alors que trois coups répétés résonnèrent contre la porte de la chambre. Une dague en main elle alla ouvrir découvrant le valet, un chandelier en main du fait du peu de luminosité du lieu. Et ce même en plein jour.
- Madame, notre Seigneur Robert va vous recevoir. Cependant... Il détailla brièvement la lame étincelante prête à mordre que tenait son interlocutrice. Vous n'aurez nul besoin de ceci. Je vous prie de...
- Évidemment. L'interrompit Xélina qui reposa la dague sur le lit auprès des autres armes... Songeant aux couteaux dissimulés dans les plis de ses vêtements.
- Allons-y.
- Bien Madame. Le valet s'inclina, invitant d'un élégant geste de la main Xélina à le suivre. Ce qu'elle fit sans difficulté, impatiente de rencontrer son hôte.
VOUS LISEZ
Xélina, La Fille Aux Yeux De Sang.
FantasyLorsque Xélina se rend à Hurlevent, "la citadelle la plus au nord du Nord", elle est loin de s'imaginer quelle périlleuse aventure l'attend. Ce qui devait être un simple contrat pour l'aventurière va prendre des proportions insoupçonnées, bouleversa...