Le festin de Robert

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Le valet mena Xélina par delà la grande salle. Au fond de celle-ci, deux hommes d'arme ouvrirent une large porte de bois noir gardée pour l'éternité par deux ours de pierre l'encadrant. Ils pénétrèrent tout deux dans une large salle obscure. En effet seule la gauche de la salle comportait de larges fenêtres qui donnaient sur l'immensité noire de l'eau, bien capricieuse et agitée depuis l'aube. Une nouvelle fois la pièce n'avait rien d'austère et couverte d'imposantes tapisseries et étendards aux couleurs du seigneur du lieu. Des armures étaient disposées de par et d'autre des deux gigantesques tables de banquet qu'abritaient la salle. Au fond de celle-ci trônait juchée sur une estrade la table seigneuriale dominant les autres et réservée à la famille du châtelain.
Attablé, trônait un solide gaillard. Le bas de son visage était mangé par une barbe broussailleuse immaculée parsemée de flammes orangées. Tout comme sa chevelure que le temps avait fait passer de rousse à blanche. Le visage creusé de rides et barré de divers cicatrices de Robert étaient les vestiges du formidable guerrier qu'il fût. Et est encore bien que sur le déclin. Le colosse se déplia à la vue de Xélina. D'un signe de la tête il congédia le valet, posa sa main sur le pommeau d'or de l'épée qui pendait à son côté gauche et prit la parole de sa voix puissante et vibrante.

- Dame Aquilée...
- Je ne suis pas une Dame. L'interrompit Xélina en inclinant sa tête. L'épaisse moustache du Fort tressailla alors, dissimulant parfaitement un maigre sourire.
- Vous n'aimez pas les formalités. Moi non plus.
- Ce n'est pas ce que dit cette pièce... Observa Xélina en plantant ses yeux de rubis dans bleu de ceux de Robert qui haussa ses épaules épaisses couvertes du cape de fourrure grise. Il était au moins quatre fois plus large que la voyageuse...
"Cette pièce et cette bâtisse disent beaucoup de choses. Dont nous aurons peut-être occasion de parler plus tard." La jeune femme acquiesça d'un simple hochement de tête tandis que le Fort s'asseyait, invitant d'un geste Xélina à prendre place sur sa gauche.
"Pour l'heure, mangeons ! Buvons ! Notre affaire attendra que nous eussions rempli nos panses !" Une nouvelle fois Xélina hocha sa tête, silencieusement. Elle devait bien admettre être tant affamée qu'elle eût pu dévorer un troupeau de vaches bien grasses... La jeune femme lécha discrètement ses crocs rien qu'à cette pensée tandis que le maître de maison frappait avec vigueur dans ses mains.

"Échanson ! Du vin ! Que l'on fasse venir moult victuailles ! Que l'on ripaille ! Que mon invitée n'oublie jamais ce festin !" S'exclama Robert en abattant à plusieurs reprises un gobelet d'argent contre le bois de la table avec bonne humeur. Xélina lui lança un bref regard en coin alors que sous les ordres du vieux valets, les serviteurs se mettaient en mouvement dans une folle danse domestique. Un joyeux brouhaha indiqua l'entrée des convives, notables et chevaliers du lieu qui prirent place aux grandes tables de la pièce, sans guère prêter d'attention à la nouvelle venue.
Tous, hommes comme femmes étaient armé d'une épée et hurlèrent d'une même voix la devise de la maison de Robert en frappant sur la table.
C'est ainsi aux cris de "Notre est la Fureur !" Que le festin commença.

- Vous n'aimez pas les formalités, hein... Commenta Xélina alors que le maître de Hurlevent levait sa coupe vers les convives en répondant.
- Nous sommes ainsi dans le Nord...
- Gueulards ? Robert rit en tournant ses yeux d'azur vers l'impertinente voyageuse.
- Entre autres. Mais que voilà ! Le robuste seigneur fut rejoint par une jeune fille d'une quinzaine d'années aux cheveux d'or coiffés en une natte. Son regard pétillant d'azur se posa sur l'inconnue à qui elle sourit poliment bien que timidement avant de venir s'asseoir trois chaises à la droite de son père. Elle fut rejoint par un jeune homme vêtu de noir, son aîné de trois ans qui adressa un simple hochement de tête à son père et l'étrangère.

- Ingrid et Lothar ! Annonça le seigneur avec entrain en abattant sa main amicale aussi large qu'une patte d'ours sur l'épaule de Xélina. Elle eut l'impression que c'était les cieux eux-mêmes qui lui tombaient sur les épaules.
- Vos... Enfants ? Répondit-elle sans rien en laisser paraître.
- Mes enfants ! Confirma le seigneur avant de se tourner vers une femme aux cheveux d'argents encore svelte malgré son âge

"Et Burgodonfare, Terreur des Goblins, Lame de Hurlevent... Mon épouse". Annonça le seigneur de Hurlevent, ce à quoi la femme répondit en se tournant vers Xélina.

"Les lunes passent, mon époux, Robert, Dompteur des Ours, bouclier de Hurlevent reste le même séducteur..." Le concerné éclata d'un rire gras qui se mêla au tumulte emplissant la grande salle sous le regard taquin de Burgodonfare. Xélina se contenta d'esquisser un simple hochement de tête alors qu'un valet venait placer un plat garni de gibiers et de pièces de viande sur la table seigneuriale.
Suivant le mouvement général, Xélina tendit sa main pour se servir lorsqu'un grognement sourd s'éleva dans son dos. Elle se figea, fit jaillir un couteau étincelant de sa manche et, vive comme le vent, se tourna dans une posture offensive.

Elle se retrouva face à deux grands yeux noirs étincelants. Un Grand Ours au poil blanchâtre se tenait face à elle, dévoilant ses crocs. Les sens de Xélina était affûtés, son entraînement rigoureux. Aussi sans hésiter et avec une précision chirurgicale, elle fit siffler sa lame précisément entre les yeux de la bête.
Nul doute que le coup eût été dévastateur pour la bête, aussi formidablement puissante fût-elle. Cependant le bras de Xélina était bloqué par la main du jeune homme dont les cheveux bruns, presque noirs tombaient en cascade sur sa cape sombre. Lothar planta ses yeux bleus nuit dans le feu de ceux de Xélina.

"L'ours de mon père ne te fera nul mal." La jeune femme fronça ses sourcils puis tourna ses yeux vers Robert qui souriait en détaillant la scène qui se jouait sous ses yeux.

"Le vieux Drüss n'attaque pas les invités" Xélina serra ses dents, lança un regard hargneux à la bête puis au jeune homme, se dégageant d'un coup sec de son emprise.
- Ne me touche plus jamais.
- Tu compte m'en empêcher ? Le brun posa sa main couverte de cuir contre le manche de son épée, mouvement qui fut interrompu par l'intervention de Robert.

"Cela serait divertissant. Mais pas aujourd'hui. Profitons du festin pour l'heure." Lançant un regard noir à Xélina, Lothar retourna s'asseoir alors que l'ours blanc venait docilement posé sa grosse tête sur l'accoudoir du fauteuil du seigneur des lieux.

Xélina, La Fille Aux Yeux De Sang.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant