Les Murmures de l'Aube

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Comme convenu par le maître de Hurlevent, le départ aurait lieu à l'aube. Xélina n'avait guère dormi du reste de la nuit; aussi se tenait-elle là, au pied du château de Robert assise sur un banc de taillé dans de la pierre blanche d'une main de maître. À ses côtés était placé un poteau de cuivre surmonté d'une orbe lumineuse dont l'éclat cessa dès lors que les premiers rayons du soleil jaillirent des flots.
Le regard de vermeil de Xélina se perdit sur le centre-ville, en contrebas... Encore paisible pour tout signe de vie seul le mouvement circulaire de la roue d'un petit moulin. Et pour tout être cet ours, gardien immuable et éternel aux traits figés dans le roc noir.

La jeune femme tendit doucement son doigt au bout duquel tenait en équilibre parfait un couteau a la lame effilée comme un rasoir. D'un habile mouvement de poignet elle le fit tournoyer, deux, trois, puis une multitude de fois, ne laissant entrevoir de la lame guère davantage qu'un éclair d'argent fendant l'air.
Satisfaite, elle esquissa un sourire carnassier lorsque son attention fut attirée par un imperceptible bruissement à quelques pas de là. Ses sens étaient prodigieusement aiguisés. En particulier son audition ; car si ces murmures eurent été inaudibles au commun elle les percevait parfaitement.
Féline et plus muette encore que la mort, elle se glissa, arme au point jusqu'à une petite bâtisse de bois et de pierre située à une soixantaine de pieds de là. Se collant à une épaisse poutre de bois brun, Xélina fronça ses sourcils, se concentrant sur ces imperceptibles chuchotements se perdant et se confondant dans la brise matinale. Qui diable pouvait comploter ici aux aurores ?... Son instinct, qui ne lui faisait guère défaut, ne pouvait que l'inciter à la méfiance.

Cependant sa curiosité avait été piquée. La était son moindre défaut, puisqu'il ne lui fallut pas plus de temps pour qu'elle souhaite en savoir davantage. L'indiscrète aux yeux de rubis courba l'échine puis s'agenouilla de manière à se caler dans l'ombre de l'encadrement de la porte de cette petite bâtisse, s'avérant vraiment être un débarras ou s'entassaient divers objets hétéroclites. Telle ne fut pas sa surprise de découvrir le jeune fils du seigneur en compagnie d'une donzelle aux cheveux de feux percées d'oreilles en pointes. Et l'azur de ses yeux semblait éclairer le petit débarras obscur d'une douce lumière diurne. Quant à son visage il exprimait une grande douceur, quoique empreinte de naïveté et d'innocence. La petite elfe était jolie en somme. Dans le genre pointu songea Xélina sans dissimuler un sourire amusé ; il lui était bien aisé de saisir les aboutissants de la petite scène qui se jouait sous ses yeux. Elle comptait bien en profiter durant quelques instants. Ne serait-ce que pour confirmer dès soupçons qu'elle savait déjà véridiques. Et puis elle pourrait claquer le bec du jeune seigneur à l'avenir, ce qui était inestimable.

- Lothar... Es-ce nécessaire pour toi de quitter Hurlevent...? De me quitter...?
- Il le faut. Tu le sais, Isaure. Cesse de t'en faire; je saurais être prudent. Comme toujours.
- Tu ne l'est jamais...
- Je dois te l'accorder... Un imperceptible sourire d'une tendre malice naquit sur les lèvres de Lothar alors qu'Isaure poursuivait.
- Tu n'est qu'un sot... Un imprudent...

Le jeune homme n'eut guère le temps de répondre ; la main d'Isaure s'abattit contre son torse, accompagnée d'un regard bleu réprobateur.

" ... Certes. Mais je revient à chaque fois..." La coupa le jeune seigneur en saisissant avec délicatesse les mains de la blonde qu'il porta jusqu'à ses lèvres. Le teint porcelaine de cette dernière prit une jolie couleur rosée alors qu'elle ajoutait, tâchant de ne pas se laisser désarçonner si aisément.

- Mais dans quel état...
- Mmh. Toujours plus fou de toi ?
- Idiot...

Dans l'ombre, Xélina leva ses yeux vers le plafond bas de poutres entremêlées, tout comme les doigts des deux amants. Quel cabotin celui-ci, songea t'elle tandis que Lothar poursuivant, accrochant le gris de ses yeux aux saphirs de ceux de...

" Écoute... Dès mon retour je tâcherai de parler à mon père de nous deux, de notre union future... Qu'en penses-tu ?"

Le regard de la blonde brilla davantage. Presque autant que ses joues blanches se couvraient d'une jolie teinte rosée, semblable à la peau d'un nourrisson.
- Ce... Ce serait formidable... Je... J'espère être à la hauteur et que son Seigneur m'appreciera...
- Je n'ai nul doute quant à cela. Le brun sourit, ajoutant d'un air charmeur que Xélina n'aurait guère soupçonné qu'il puisse avoir, lui qui semblait si sinistre. "Retrouve moi sous la Tour Est..."
- ... Là où la mer fracasse et le Roc du Coq se dresse... Acheva en arborant un sourire d'une radieuse tendresse.
- Notre endroit...
- ... Notre secret...

Les doigts des amants se lièrent délicatement, puis leurs lèvres, leurs langues. Les mots laissaient place à une passion et un amour devorants... Et Xélina quittait le plus silencieusement du monde sa cachette pour regagner le banc, s'intéressant de nouveau à sa lame. Elle en avait bien assez vu et entendu. La voyageuse se perdit rapidement dans ses réflexions. Aussi lorsque Lothar quitta le petit débarras il lui fut fort mal aisé d'estimer combien de temps avait passé lorsque le fils du seigneur, une main posé sur le pommeau de l'épée qui pendait à son côté, la seconde tâchant de remettre un semblant d'ordre dans sa chevelure en bataille sortit de la petite bâtisse.

"Tu es bien matinal, petit seigneur." Lança Xélina sans quitter des yeux sa lame alors que l'interpellé passait devant elle.

- Les démons ne dorment pas ?
- Aucune idée. Il faudrait leur demander. En revanche toi tu as une mine affreuse. La nuit fut courte ?

Le brun haussa ses épaules, répliquant sans s'arrêter.

"Quelle solicitude. Cela ne te regarde pas, mercenaire. Soit à l'heure."

Le soleil avait à peine franchi l'horizon lorsque les portes de la citadelle s'ouvrirent dans un grincement, vomissant un petit groupe de cavaliers. Trois en hommes en armes étaient menés par Lothar montant un bel étalon d'ébène. Sa cape claquait fièrement dans son sillage tel un oriflamme noir, aussi noir que son armure et les cascades bouclées qu'étaient sa chevelure.
Les sabots frappaient le bois du pont-levis dans ce vacarme propre aux cavalcades. Xélina le franchit à son tour, chevauchant une bête à la robe blanche parsemée d'une multitude de tâches opales semblables à du givre.

Dans un silence religieux, la troupe s'éloigna de Hurlevent en direction du Nord le plus au Nord.
Alors que le chemin de terre sinueux et encore boueux les menait jusqu'à la lisière de l'une des forêts couvrant la région, la jeune femme tourna brièvement ses yeux vers la forteresse.
Capricieux, les dieux avaient aujourd'hui décidés de couvrir les cieux de saphir. La journée serait belle et déjà la mer scintillait, parée de l'or offert par les rayons du soleil encore naissant. Esquissant un sourire aussi imperceptible que fugace à cette vision, Xélina se tourna alors vers le fort du Fort. Ainsi libérée du brouillard et de la pluie, il s'avérait que Hurlevent était en réalité entouré de trois autres falaises, jaillissant, pics noirs, des profondeurs de la mer. Une tour de guet avait été bati sur chaque pic, liées à la citadelle par des ponts suspendus dont la traversée devait être bien périlleuse lorsque les éléments abbataient avec fracas leurs force et fureur sur les terres de Robert.

"Remue toi un peu, mercenaire." Lança la voix de Lothar déjà bien enfoncé entre les arbres. Ce qui fut suivi de quelques ricanements.

Xélina serra ses dents. Songeant à la récompense promise par Robert le Fort elle tâcha de garder sagement lèvres et poings serrés et, d'un coup de talon rejoignit au trop ses compagnons de route. La plupart étaient de solides gaillards à l'air revêche, quoique guère malveillant, riant gaiement, chacun lançant plaisanteries et remarques grivoises. Amusée Xélina haussa ses épaules, s'autorisant même à sourire et participer à cette joyeuse conversation.

Xélina, La Fille Aux Yeux De Sang.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant