Solitaires

14, Amis ?

P. D. V. de Linda

Je suis grandement étonnée par ce garçon.

Il est bipolaire ou quoi ?! Il y a 5 minutes il me haïssait et maintenant il me propose d'être amis ?!

Surprise et ayant l'habitude de rétorquer immédiatement, je répond:
- Oui, si tu veux.
Il éclate de rire et me sourit. Je lui souris, ce qui lui arrache un petit rire.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de drôle ?
- Non, rien. Je viens juste de me rendre compte que chez toi, une grimace et un sourire c'est la même chose.
Il se permet de critiquer mon sourire ?! Je lui avais pas demandé son avis, pourtant.
Ah oui, c'est vrai. C'est ce que sont censés faire les amis: donner leur avis inutile quand on ne leur a pas demandé. Donner leurs pensées les plus superficielles et inutiles à leurs amis, au lieu d'aller à l'essentiel. Un exemple de fille que je déteste et que je me fais un plaisir de fracasser sont les filles qui "hésitent" prétendument à dire quelque chose alors qu'elles savent parfaitement qu'elles vont le dire. C'est juste pour faire durer le suspens et pour que leurs amis les sollicitent. Pour attirer l'attention, en bref.
Tout le monde cherche à attirer l'attention. L'attention est ce que tous recherchent dans la société actuelle. L'attention est ce que tout le monde recherche, et ce que tout le monde a -en quantité variable.
Même ceux qui ne recherchent pas spécialement l'attention en reçoivent. Des élèves considérés comme associaux, bizarres ou intellos attireront plus l'attention que les autres. C'est ainsi: les personnes montrant leur différence étonneront les autres. Pour beaucoup, le fait de ne pas rechercher particulièrement l'attention est une différence.

- À quoi tu penses ?
- Au fait que je méprise les personnes ressemblants à la moi d'avant.

J'ai répondu naturellement. Il m'a posé une question, j'ai répondu franchement. Et maintenant, il va me considérer comme bizarre.
Enfin bon, on peut pas vraiment dire que ce mec soit normal.

Effectivement, il me répond sérieusement:
- Quels genres de personnes ?
C'est peut-être une manière détournée de me demander quelle personne j'étais avant.
Qu'importe.
- Des personnes qui prétendent être quelqu'un qu'elles ne sont pas. Juste pour rentrer dans la norme. Perso, je préfère être moi-même qu'un mouton.
- Tu méprises ce genre de personnes ?
- Oui, c'est ce que j'ai dit.
Il semble déçu. Ce que je viens de dire a l'air de l'attrister, et comme je n'aime pas être la cause d'une dépression qui peut se transformer en enfermement voire même en suicide, je fais quelque chose que je fais rarement. Je lui demande si ça va.

Il tourne la tête et plonge son regard dans le mien. J'apprécie quand les gens font ça car cela me laisse plus de latitude pour les analyser.
Il est bel et bien déçu.
- Je fais -enfin faisais maintenant, je l'espère- partie de ces gens que tu méprises.
- Pourquoi as-tu l'air si déçu si ce n'est plus le cas ?
- Je regrette de ne pas m'en être rendu compte avant. De ne pas avoir voulu m'en rendre compte avant.
- Effectivement, tant que tu profites des avantages d'un système, tu sera pour.
- Tu es contre le système toi ?
- Non. Moi je suis contre la manière d'interagir des gens.
- Qu'est-ce que tu leur reproches ?
- Leur honnêteté. Ils mentent en permanence. Ils exagèrent la vérité et les mensonges, omettant des détails... Un même événement raconté par des personnes différentes ne sera pas le même.
- C'est vrai... Juste à regarder les rumeurs... Une vérité -certes chétive- transformée en un mensonge. Enfin bon, après le mensonge peut se transformer en vérité...
Il est drôlement intéressant, ce mec ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu une vraie discussion avec quelqu'un de mon âge. La dernière similaire remonte à...
Je retire ce que j'ai dis. Il n'y a pas eu de dernière conversation, il n'y en a jamais eu.

« Ce serait pas mal d'avoir ce genre de discussion plus souvent, » je lance,  « on pourrait choisir une heure d'amitié. Ça te dirait, qu'on discute le samedi matin ? »

Il me regarde, ahuri.
J'ai peut-être légèrement oublié comment s'y prendre pour se voir entre amis. J'ai peur de l'avoir effrayé.

- Désolé, je peux pas ce week-end.

Je m'en doutais ! J'ai trop espéré de ce garçon.
Je tourne les talons. J'ai horreur qu'on me fasse ça. Refuser poliment alors que si on est amis, on doit pouvoir être sincère. Franchement, si on ne peut pas dire nos pensées à nos proches, à qui pouvons-nous les dire ? A ce bout de papier entre mes mains? A mes parents hilares, idiots?

- Par contre je peux ce mercredi.

Je l'observe, vérifiant son état d'esprit. Il m'a l'air d'aller bien, je n'ai plus qu'à prier pour que ce ne soit pas des paroles en l'air.
Je le remercie d'un hochement de tête et me dirige vers l'école.

Malgré tout, certains contacts humains me manquent. Un ami comblerait peut-être cet nécessité ?