Mes vacances sont bien chargées. D'abord, il faut que je coure régulièrement avec Sébastien. Il est décidé à faire de moi un bien meilleur nageur, il veut qu'à la prochaine compétition je sois au top de ma forme et que je permette ainsi à l'équipe d'accéder plus glorieusement à la première marche du podium. Pour ça, il a préparé un planning intensif, dont fait partie la course, pour que mes jambes soient plus fortes. Malgré le froid, donc, nous poursuivons notre entraînement.
— Irénée t'a parlé ?
— Oui. Tu as évidemment pris la bonne décision en ne me disant rien. C'était à lui de me le révéler... ou pas.
— C'est bien que vous ayez parlé, ça te permettra de mieux le comprendre. Il a dormi deux fois chez toi, ça n'a pas étonné tes parents ?
— Non, ils ont un grand cœur, ils ne supportent pas que quelqu'un reste seul chez lui pour Noël. Je pense qu'ils ne se doutent de rien, pour eux c'est juste un ami.
— Je suis désolé d'avoir joué de mon autorité pour te menacer. À partir de maintenant, je ne me mêle plus de votre relation. J'aime bien encore croire qu'Irénée a besoin de moi, a besoin que je le protège, mais je sais qu'il a assez de caractère pour gérer sa vie.
— Il sait que tu es là et c'est tout ce qui compte pour lui. Comment tu as réussi à le retrouver ? Comment tu as su qu'il était dans ce centre d'hébergement ?
— Je ne le cherchais pas, en fait. Selon la version officielle, que ses parents ont annoncée à la famille, Irénée avait quitté la maison de son propre chef et était parti dans le Sud pour faire sa vie. C'était gros comme mensonge, mais nous y avons tous cru. Au début j'ai tenté de le joindre sur son portable, il ne répondait pas. Normal, il était parti si précipitamment de la maison qu'il ne l'avait pas emporté.
— Quand est-ce que tu as découvert la vérité ?
— J'ai été convoqué par le directeur du lycée. Il m'a longuement questionné, il voulait savoir où était Irénée, qu'il fallait le joindre au plus vite. C'était un test. Il croyait que je mentais, que j'essayais de couvrir mon cousin en faisant semblant de ne pas savoir où il était. Alors, je me suis mis à l'interroger aussi. Il a hésité puis m'a tout dit : l'hôpital l'avait appelé, Irénée avait été admis après une tentative de suicide et il était impossible de contacter ses parents. C'est le directeur qui m'a donné l'adresse du centre d'hébergement. Il a vu que je n'étais au courant de rien, je le remercie de m'avoir averti et de m'avoir fait confiance.
— Incroyable ! Heureusement que tu étais là.
— Je ne sais pas si j'ai été d'une aide aussi importante qu'Irénée le pense. Tu sais, il est fort. Il a pu se laisser aller jusqu'à la dérive complète parce qu'il se sentait totalement abandonné. Mais dès qu'il m'a vu, j'ai compris à son regard qu'il avait repris toute son énergie.
— Tu as été là, c'était le plus important.
— Je veux qu'il soit heureux, il le mérite.
— Je pense qu'il l'est déjà.
Et puis, pour ruiner les heures que je passe à faire du sport, je rejoins régulièrement Céline dans un café, pour parler autour d'un gros chocolat chaud plein de sucre. Ça me fait toujours du bien de la voir. Nous discutons de longs moments, sans nous arrêter. Elle me raconte ce qu'elle a sur le cœur, je lui dis presque tout de ce qui arrive dans ma vie. Je n'entre évidemment pas dans les détails du passé d'Irénée, je me concentre uniquement sur le présent, c'est vraiment tout ce qui compte. Et puis, je retrouve Fabien pour une partie de tennis, en court intérieur, évidemment. Chaque jour je suis avec mes deux potes à la piscine, toujours pour parfaire mon entraînement. Ce n'est pas tout. Sur le ring, je boxe avec Cyril.
— Quelque chose ne va pas ?
Quand il ne frappe pas fort et qu'il se contente d'encaisser mes coups, c'est qu'il y a un problème.
— Deux de mes potes se sont fait arrêter l'autre soir, en train de dealer.
— Tu n'as jamais pensé à arrêter ?
— On parle souvent des gangs qui sévissent aux États-Unis. On en fait des films et des séries. De loin on trouve ça cool, mais quand on fait partie d'un gang, ça peut devenir l'enfer. On ne peut pas en sortir comme ça, juste en claquant la porte. Je connais trop de noms, trop de secrets. Si je pars, ils me traqueront. Je suis piégé.
— Il y a sans doute un moyen.
— Dans le monde des Bisounours, oui, certainement. Dans la vraie vie, c'est plus compliqué.
— Pourquoi tu as intégré ce gang ?
— Je n'avais pas d'argent pour m'acheter de l'herbe. Un jour, un mec, à la sortie du lycée, m'en a proposé gratuitement. Plusieurs jours de suite il m'en a filé sans que j'aie à payer. Et puis, il est venu me demander un service en échange de sa « gentillesse ». Jai dû commencer à dealer pour lui, à l'intérieur du lycée ! J'ai mis un doigt dans l'engrenage et je ne peux plus m'en sortir.
— Tu voudrais arrêter ?
— Mathieu, tu as bien conscience que je vends de la drogue ! Chaque week-end, des jeunes a qui j'ai fourni de la came se retrouvent à l'hôpital, en overdose et certains ne passent pas la nuit. J'ai des morts sur la conscience donc oui, je voudrais arrêter.
— Je n'ai pas de solution, là tout de suite, mais il faut qu'on y réfléchisse sérieusement.
— Ce n'est pas la peine, il n'y a pas d'issue.
Je ne suis pas encore assez fort ou expérimenté pour aider Cyril et ça me ronge. Un ami est en détresse et je ne peux rien faire pour lui. C'est le genre de situation qui m'énerve ! Il faut que je réussisse à réaliser son rêve : lui faire quitter ce gang.
Et puis, enfin, je retrouve Franck et Olivier à la salle de musculation. Toutes ces heures de sport expliquent pourquoi mon corps se transforme aussi rapidement. Je n'avais jamais pensé qu'un jour j'arriverais à avoir un corps à la fois bien fait, bien musclé, bien proportionné et en bonne santé. J'ai eu tout ça presque sans m'en rendre compte. Parce que je pratique tous ces sports pour être avec des amis, pas pour l'apparence. Mon physique n'est finalement qu'une conséquence.
— Tu fais quelque chose pour Nouvel An ?
— Ouais, on célèbre ça avec mes potes du lycée.
— Nous on organise une grande fête. On a loué une salle dans un hôtel, il y aura plein de monde. Si ça vous dit, toi et tes amis vous pouvez venir.
— Je vais leur proposer.
— Ce sera vraiment sympa. Et ne t'inquiète pas, nous n'avons pas prévu une soirée gay, ce sera évidemment pour tout le monde.
— D'accord, je vais leur soumettre l'idée.
— On ne te voit plus au Rosa Bonheur. Tu as quelqu'un en ce moment ?
— Oui, effectivement.
— Cool, j'espère qu'il viendra à la soirée !
Je n'ai pas voulu m'étendre plus et ils ont compris. J'aime parler de ma toute nouvelle relation amoureuse et en même temps je veux en garder un peu pour moi, avoir mon jardin secret, ne pas tout partager. En plus, expliquer des sentiments, c'est ce qu'il y a de plus compliqué !
Je passe toutes mes soirées et mes nuits avec Irénée. On peut dire que je ne suis pas resté seul longtemps ! Mais il faut profiter des bonheurs de la vie, sans se poser de questions. Il n'y a pas de règles strictes. Rien ne dit que l'on doit attendre un temps défini entre deux relations !
— On pourrait passer à cette soirée, mais à vingt-trois heures grand maximum, on devra s'éclipser.
— Pourquoi ?
— Parce que le soir de Nouvel An je mixe. Enfin, je dis « nous », mais si toi tu veux rester avec tes potes...
— Ça ne va pas la tête ? Je veux être là où toi tu es.
J'ai eu droit à un bisou.
— Je ne veux t'obliger à rien.
— Arrête avec tes bêtises. Je ne vais pas commencer l'année sans toi quand même !
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Le journal de Mathieu (7)
General FictionMathieu passe son premier Noël parisien, entre tristesse, joie et amour. Et avant que la nouvelle année ne commence, il doit aider Cyril, n'imaginant pas ce qui va lui être révélé...