Chapitre 8 : Adrien

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Adrien redressa la tête, surpris du ton avec lequel Smith s'adressait à lui. Les regards s'étaient aussitôt tournés sur le garçon à l'appel de son nom, et il se sentit très mal à l'aise. Il avait l'habitude d'attirer l'attention avec ses idioties, pourtant.

Il avisa l'expression de Loup, tourné dans sa direction, et son regard bleu brillant de malice le déstabilisa. Qu'est-ce qu'il avait bien pu lire pour lui donner un air pareil ?

L'expression de Cléa à côté était plus mesurée, elle ne semblait pas arborer une quelconque arrogance pour une fois, au contraire elle semblait perdue dans une intense réflexion, ce qui inquiéta presque encore plus Adrien que Loup.

Le grand brun fit quelques pas en avant, soudain très hésitant et peu certain de vouloir savoir ce que venait de découvrir le professeur d'histoire. Cela l'étonna lui-même, il se savait d'une nature d'ordinaire très curieuse. C'était peut-être pour ça qu'il était devenu ami avec Nancy presque aussitôt quand il l'avait rencontrée, à son entrée au lycée un an et demi plus tôt. En plus du fait que la jeune fille était bon public devant ses blagues parfois un peu lourdes, elle savait beaucoup de choses et le garçon aimait apprendre, même s'il avait une mémoire un peu défaillante.

Le professeur eut le bon sens de cacher le reste du message, et de le tendre directement à Adrien pour qu'il soit caché des curieux. Le garçon saisit le papier en le plaquant contre sa poitrine sans vraiment le regarder, cherchant simplement à le masquer aux autres élèves, qui avaient pour la plupart plus l'air de vouloir s'éloigner de cette histoire que de connaître le mot de M, à quelques exceptions près.

Adrien s'écarta légèrement du groupe avant de dégager l'enveloppe de sa poitrine pour l'observer. Une écriture fine et plutôt élégante était étalée sur un côté, mais il n'aimait pas vraiment lire, c'est pourquoi il préféra commencer par inspecter le contenu.

Il s'agissait d'une photo, une photo de famille. Aux tons sans couleurs, sans joie, qui avait l'air un peu vieille sans pour autant être usée. Les gens présents dessus se tenaient debouts, le menton relevé, le dos raide, et tous arboraient un air froid derrière leur sourire qui semblait mécanique. Il y avait une femme au centre, celle qui paraissait la plus apprêtée, vêtue presque entièrement de blanc mais présentant un chignon noir tiré à quatres épingles qui contrastait avec ses yeux très clairs. Elle posait légèrement de côté, et avait les deux mains délicatement posée sur les épaules d'une petite fille devant elle. Celle-ci semblait aussi statique que sa mère, élégante mais manquant affreusement de vie. Un garçon plus vieux se tenait à la droite de la femme, impeccablement coiffé et le dos bien droit. À la gauche de l'adulte, une fille plus âgée était présente également, une adolescente d'une quinzaine d'années, et son élégance atteignait presque celle de sa mère.

Et puis, aux côtés de la petite fille bien soignée, il y a avait un petit garçon, âgé d'une dizaine d'années à peine. Ses cheveux semblaient difficilement domptable avec le gel, ses yeux sombres ne regardaient pas la caméra mais étaient dirigés vers la droite, comme s'il observait avec envie ce qu'il y avait à côté du photographe. Ses yeux étaient ternes et sans joie, pleins de mélancolie, et ses lèvres ne semblaient pas parvenir à se relever en un sourire aussi artificiel que celui des personnes autour de lui.

Adrien croisa le regard du petit garçon sur la photo, et déglutit, sa main commençant à trembler affreusement. Scarlett profita de ce moment pour s'approcher du brun, et elle lui arracha d'un coup sec l'enveloppe qu'il avait délaissée, avant de récupérer également l'image entre ses doigts moites.

- Arrêtez d'en faire tout un plat, ça suffit ! Je veux savoir ce qu'il y a écrit.

Adrien recula, peu sûr de pouvoir résister à ce qui allait suivre. Il avait envie de récupérer ce qui de toute évidence ne concernait que lui, mais n'en avait pas la force. Quelque part, il commençait à comprendre qu'il ne parviendrait pas à empêcher le destin. La chose qu'il redoutait sans doute le plus au monde était en train d'arriver, et il était incapable d'effectuer le moindre mouvement pour l'éviter.

Scarlett arbora la photo avec un air curieux, et s'exclama :

- C'est toi Adrien le petit garçon ? Il te ressemble ! Tu étais super mignon quand tu étais enfant.

- Il y a quelque chose écrit au dos de l'enveloppe... lança doucement Léna en jetant un coup d'œil à Adrien qui s'était figé, lui qui habituellement ne restait jamais en place.

Scarlett retourna donc le rectangle blanc dans un petit froissement, pour lire à voix haute en articulant bien :

- "Regardez-moi ce joli portrait de famille ! Tout le monde semble si content d'être là, une belle famille de riches aristocrates qui font les choses dans les règles de l'art. Oh... Mais il y a un hic... Vous voyez le gamin en bas à gauche ? Quoi ? Adrien vous dites ? Eh bien ce petit garçon est tellement idiot et incompétent que sa mère l'a abandonné peu de temps après que cette photo ait été prise. Vous ne me croyez pas ? Dans ce cas pourquoi Adrien a l'air aussi dépité tout à coup ?"

À ce moment-là, la totalité des élèves releva la tête sur le visage d'Adrien, qui aurait tout donné pour être n'importe où sauf à cet endroit. Il se sentait comme l'indiquait le mot, aussi triste que désemparé. Comment quelqu'un avait-il pu apprendre son secret ? Et pourquoi vouloir le révéler ? C'était de la cruauté pure et simple.

Scarlett termina avec le dernier paragraphe du mot :

- "J'espère que l'enquête avance parce que je commence à m'ennuyer. Réfléchissez un peu, vous pouvez trouver qui je suis. Je vous rappelle qu'à chaque heure qui passe l'un de vous mourra si vous ne faites pas d'efforts..."

Un élan de stupeur traversa brutalement les élèves, et certains reculèrent, terrifiés. Adrien, bien qu'encore sous le choc, profita de l'élan de panique pour se précipiter de l'autre côté du couloir avec les autres, espérant de tout coeur qu'ils oublient au plus vite la photo et le mot que Scarlett venait de lire.

Hugo, qui était visiblement l'un des plus effrayés même s'il essayait de le cacher, regardait autour de lui sans savoir quoi faire, et Smith éleva la voix :

- On se calme. S'agiter ne servira à rien, tout ça n'est qu'une mauvaise blague.

- Mais bien sûr ! ne put s'empêcher de s'exclamer Loup avec un petit rire moqueur. Alors le corps de Jérémy n'était qu'une vulgaire marionnette c'est ça ?

Les élèves attendirent une réplique de Cléa pour venir appuyer les propos de Loup, mais elle ne vint pas. La blonde observait la photo qu'elle avait dérobée à Scarlett, et semblait tenter de déchiffrer quelque chose à travers les visages de papier. Elle lança cependant, sans pour autant relever la tête :

- Ça ne sert à rien de se voiler la face plus longtemps, Smith. Tout ça n'est pas une blague.

- Alors nous devrions partir au plus vite, renchérit Nancy, sans doute la plus terre à terre. Si nous parvenons à ouvrir les portes de l'un des ascenseurs, nous aurons sûrement accès à un bouton d'appel d'urgence, non ?

- C'est ce que nous comptions faire justement, admit Smith.

- Et nous avons vérifié, ajouta Cléa, il n'y a que deux sorties de secours et elles sont bloquées. On ne peut littéralement pas les ouvrir.

Un murmure de peur parcourut le petit groupe, qui commença alors à se diriger dans un même mouvement vers la pièce des ascenseurs, et Smith appuya sur le bouton d'appel. Un soupir de soulagement traversa le groupe lorsqu'ils entendirent la petite sonnerie caractéristique, ainsi que les bruits mécaniques de la descente de la cage de fer.

Les portes s'ouvrirent bien vite, et les élèves ne purent s'empêcher de sourire, pris d'un élan d'espoir dévastateur. Adrien, comme pour compenser ce que ses camarades venaient d'apprendre sur son passé, fut le premier à entrer dans la cage métallique et chercha le symbole d'une petite cloche jaune sur le mur à sa droite.

Alors que Léna allait le suivre à l'intérieur, une petite voix enregistrée retentit, coupant tout le monde dans leur mouvement.

Fermeture des portes.

Et soudain sous les yeux ébahis d'Adrien resté du mauvais côté, les deux panneaux gris se rejoignirent, sans qu'il n'ait pu amorcer le moindre geste pour les en empêcher ou sortir.

Les portes se refermèrent dans un bruit sonore, suivies d'un silence de mort à peine percé par la respiration inégale du prisonnier.

L'Art de TuerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant