Un monde sans Eux

Chapitre 1 - Manquer

C'est agréable de s'étendre comme une étoile de mer.

Il y a bien longtemps que je n'avais pas dormi comme cela ; bien. J'avais enfin réussi à dormir d'un bon sommeil réparateur, de ceux sans rêves où l'esprit n'enregistre aucun élément perturbateur. Seule dans un grand lit conçu de base pour accueillir un couple ou plutôt deux personnes, la solitude est bien présente et se fait ressentir à chaque mouvement.

Pourtant, il n'y a pas si longtemps de cela, je dormais encore dans les bras forts de l'homme qui partageait ma vie et était mien ; Gregor. Mais cet étrange et inexplicable virus a débarqué guidant toute la gente masculine mondiale vers le couloir de la mort.

Enfin pas tous, et je n'ai pas le droit de me plaindre. Gregor est encore en vie. Enfin, si l'on peut appeler ça la vie l'état dans lequel il est actuellement. La notoriété, mais aussi l'argent nous ont permis à quelques privilégiés de mettre à l'hôpital époux, frères, pères, enfants, amis dans un coma artificiel le temps de découvrir la nature de ce virus, mais aussi le moyen de le neutraliser et de guérir les survivants. J'avais la désagréable impression que c'était une perte de temps, mais aussi que l'espoir s'estompait avec les jours et les semaines défilants. Et puis, c'était clairement une injustice financière qui persistait malgré la disparition des hommes et l'équilibre des ressources.

J'ai l'impression que c'était hier quand Gregor me prenait dans ses bras pour me soulever et me poser sur l'îlot de la cuisine. Là, il se positionnait entre mes jambes et attrapait mon visage pour me butiner les lèvres avec passion me faisant me sentir unique. Nous passions de longues heures enlacés à ne penser à rien d'autre à part l'être aimé et à mémoriser cette odeur corporelle enivrante. J'aimais profiter d'être à sa hauteur pour faire glisser sous mes doigts ses cheveux toujours aussi soyeux. Il arrivait à Gregor de les laisser pousser pour les attacher et cette tignasse lui donnait un air qui ne me déplaisait nullement. Puis, je cherchais ce regard impossible à ne pas rater et me noyais dans ses yeux sans jamais avoir l'envie de détourner les miens.

C'est quand l'être aimé n'est plus, ou dans mon cas presque plus que chaque détails qui semblaient auparavant anodins nous tourmentent l'esprit en s'immisçant dans nos plus profonds songes.

En y repensant, Gregor avait cette manie de remonter les manches de ses chemises, il détestait les garder sur ses poignets dévoilant des avant bras forts. Même pour notre mariage, il avait remonté ses manches une fois s'être débarrassé de sa veste de smoking. C'était son habitude bien à lui et qui le définissait le mieux. Il en faisait de même avec les pulls. Je le surprenais même à retrousser les manches de ses T-shirts par habitude. Il lui fallait absolument un morceau de tissu retroussé.

Aujourd'hui, j'ai le temps d'aller le voir. Je peux me permettre de passer du temps avec mon mari et j'ai l'horrible impression que cela fait une éternité que je n'ai pas eu l'occasion de voir son visage.

Avec la disparition totale des hommes, des postes se sont retrouvés vidés du jour au lendemain. Je l'avoue, j'avais eu beaucoup de mal à accepter de voir Callie prendre le poste de Gregor, mais il nous fallait bien le remplacer. J'aurais aimé que ce soit quelqu'un d'autre. Mais nous manquions malheureusement de présentateurs météorologiques, et dans ce nouveau cas, de présentatrices météo ; le choix n'était pas vaste.

Quand Callie se positionne devant le fond vert aux heures auxquelles devait être Gregor, j'ai la désagréable impression qu'elle souille sa place. Je ressens un picotement tout le long de mon échine me poussant à l'empêcher de se positionner entre la caméra et le fond vert. Je veux la tirer de toutes mes forces loin du cadre en souhaitant lui arracher sa tignasse décolorée.

Gregor s'était fait une excellente réputation grâce à la météo, aux films dans lesquels il jouait, mais aussi grâce à son émission télévisée qui consistait à faire gagner de l'argent aux participants suite aux nombres de bonnes réponses données ; émission qui avait été annulée depuis le départ des hommes. D'un seul coup, à cause d'un virus inexpliqué, Gregor n'était plus qu'un lointain souvenir comme tant d'autres qui étaient tellement plus haut placés, désormais morts ou pire ; dans un coma artificiel pour une durée indéterminée et sans grands espoirs de retour.