XXV. Prendre le train en marche (Partie 2)

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Doyle et Perry se regardèrent. Ils étaient tous deux livides. En quatre années de services rendus à la DAC, ils avaient rencontré toutes sortes de crevettoliques. Des vieilles dames voûtées qui posaient des bombes, des professeurs de lycée qui égorgeaient leurs confrères, des enfants qui versaient négligemment du poison dans les bacs de la cantine... Mais c'était la première fois qu'ils avaient affaire à une ville toute entière de crevettoliques.

– Ils... Ils ne nous ont pas encore repérés, si ?, murmura Doyle.

– Eux, oui. Les crevettes... sans doute pas. Mais si suffisamment d'entre eux se mettent à penser à nous, elles finiront par voir l'info passer. Et là, elles leur ordonneront de nous tuer.

– On fait quoi ? Si ça se trouve, Njord en est un.

– Il n'y aura peut-être pas grand chose à en tirer, mais il faut qu'on essaie. Sinon on se sera mis dans ce guêpier pour rien.

Ils se remirent en mouvement afin de ne pas attirer davantage l'attention sur eux – tant que c'était encore possible. Ils se présentèrent chacun au pied d'un des immeubles où il était possible que Siv Njord vive. Son nom n'était inscrit sur aucune des sonnettes, alors ils se rejoignirent pour tenter le troisième immeuble. Là, l'un des boutons de sonnette n'était porteur d'aucun nom. Perry appuya une fois, puis deux, puis trois... Une voix crachotante, et néanmoins faible, se fit entendre dans l'interphone.

– Que voulez-vous ?

– Vous êtes... Vous êtes Siv Njord ?

Il s'écoula un silence.

– Qui êtes-vous ?

– Nous sommes...

Perry s'interrompit juste à temps : il avait du mal à perdre son habitude de se présenter comme un agent de la DAC.

– Nous sommes là au sujet des crevettes.

– N-Non. Je n'ai rien... Rien à dire.

Le vieillard se tut définitivement.

– On monte, décida Doyle.

Il fracassa sans mal la serrure la porte d'entrée de l'immeuble et, précédant Perry, monta les marches quatre à quatre pour rejoindre le troisième étage. Là, il frappa à la porte, pour la forme. N'obtenant aucune réponse, il l'enfonça d'un coup de pied.

Il s'agissait presque d'un salon banal. La déco était un peu passée de mode, mais il n'y avait rien d'inhabituel : des fauteuils, un canapé, une table basse, des guéridons encombrés par des piles et des piles de livres. Mais l'ensemble était quasiment recouvert d'emballages de bonbons. Où que l'on pose les yeux, des emballages chiffonnés étaient présents. Enfoncés dans les interstices, intercalés entre les pages des livres, cachés derrière une plante en pot, poussés sous un meuble.

Et puis il y avait le Dr Njord lui-même qui sortait de l'ordinaire. Il était recroquevillé dans un coin de la pièce, les mains plaquées sur ses oreilles. Il portait un pantalon de tailleur usé, et un pull aux manches déformées à force de tirer dessus.

Doyle et Perry entrèrent, s'avançant à pas prudents.

– Monsieur Njord..., dit doucement Perry. Nous avons des questions...

Vu son état, il était tout à fait possible que le psychologue soit un crevettolique. D'un autre côté, il pouvait être simplement déstabilisé.

– Qu'est-il arrivé à cette ville ?, dit encore Perry, songeant qu'il valait peut-être mieux ne plus évoquer les crevettes pour l'instant.

Le vieillard leva seulement les yeux vers eux. Ils étaient vifs, brillants, et clignaient sans arrêt. L'homme avait une apparence fragile : il était grand et maigre. Ses cheveux blancs mi-longs semblaient cassants, tout comme ses longs doigts exsangues. Il avait un visage émacié. Ses fines lèvres blanches tremblaient.

Galaxy Blues - Une autre histoire de crevettes (Partie II)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant