rainbow in blue

39 10 4
                                    

Heureusement qu'il n'y avait personne à l'appartement, Maëlle aurait été bien embêtée si son père avait été présent et les avait vues dans cet état lamentable : Sasha, à moitié endormie sur l'épaule de son amie qui se baissait pour pouvoir supporter son poids. Les bières avaient disparues, Maëlle avait eu l'ingénieuse idée de s'en débarrasser dans la poubelle des voisins du premier étage, au plus grand désarroi de Sasha.

Avec peine, Maëlle sortit les clés de son sac à dos mais ses beaux cheveux lisses s'emmêlèrent dans ses innombrables portes-clés dont Gwen se moquait toujours. Elle l'aimait bien son porte-clé Winnie l'Ourson pourtant.

Quand les deux filles entrèrent dans l'appartement, Maëlle allongea Sasha sur son lit avant de la recouvrir de sa couette. Sasha ne reprendrait pas ses esprits avant demain matin. Pendant un instant, Maëlle couva son amie d'un regard plein de tendresse et de désire. Pourtant, pour lui laisser plus d'espace, Maëlle s'installa sur un vieux matelas qu'elle cachait derrière son armoire et qu'elle ne sortait que quand quelqu'un dormait chez elle. Il puait la poussière, avait quelques trous par-ci par-là mais l'adolescente s'endormit facilement dessus.

Au matin, ou plutôt dans l'après-midi, Maëlle ouvrit enfin les yeux et se rendit compte que son père n'était toujours pas rentré. Encore au boulot, pesta-t-elle en son fort intérieur. En réalité, ça ne la dérangeait pas parce qu'elle pouvait admirer Sasha en position étoile de mer dans son lit sans que son paternel ne se pose des questions. Même en train de dormir, Sasha restait mignonne. Magnifique et sexy, aurait rajouté Maëlle. Ses taches de rousseur éparpillées sur une peau laiteuse lui donnait un air de légèreté que son âme n'avait pas. Son visage fin et sa petite poitrine semblaient sortir tout droit d'un film romantique.

Le bruit de la bouilloire réveilla la petite rousse, Maëlle préparait du thé. Elle leur pris deux tasses, celles que les deux amies utilisaient toujours quand Sasha venait chez Maëlle. Une blanche ornée de petits chats jouant avec des pelotes de laine, une autre datant de l'époque de l'arrière grand-mère de Maëlle, décorée de fleurs qu'on voit souvent sur les papiers peints des grands-parents. Elles étaient à la fois immondes et stylées parce que ça donnait un côté vintage sans trop l'être. Les tasses fumantes dans la main, Maëlle tendit la blanche à son crush avec un sourire qui se voulait attendrissant.

- Tu fais une drôle de tête, dit Sasha, la tête encore dans le cul.

- C'était pas mon intention. Allez, bois. J'aimerais que tu te saoules avec autre chose que de la bière aujourd'hui.

Sasha porta la tasse à ses lèvres.

- C'est trop chaud. Et d'ailleurs, j'suis pas bourrée, enfin plus bourrée.

- J'espère bien. T'as pas mal au crâne ?

Après avoir pris une gorgée bien bruyante, Sasha se toucha le front.

- Si. Ça bourdonne un peu mais ça passe. Joue pas au rôle de ma mère, Maëlle.

Maëlle prit cette réflexion comme un reproche et se renferma comme une huître. Sasha ne le vit pas parce qu'elle avait la tête dans sa tasse de thé, aveuglée par son goût verveine, la vapeur déformant le sourire de Maëlle. Sasha était loin de savoir que son amie était effrayée par sa présence, qu'elle en tremblait de toute son âme mais que son corps restait immobile. Aussi vite qu'un battement d'ailes, Maëlle fit disparaître l'air crispé qui peignait son visage.

Une vibration indiqua à Maëlle qu'elle avait reçu un message. Cette dernière détestait utiliser son téléphone quand quelqu'un était avec elle, ça lui paraissait impoli, comme si on se faisait chier avec l'autre personne. Pourtant, pour effacer la gêne entre le deux filles, elle l'attrapa et vit le nom de Milo s'afficher sur l'écran.

- C'est qui ?

Maëlle reposa son téléphone sur son bureau tout en laissant un mensonge se glisser doucement :

- Personne, juste une notification.

- Je veux savoir. Dis-moi qui c'est.

- Milo.

Sasha se leva, son pyjama gris épousant ses légères formes que Maëlle dévoraient des yeux discrètement. Elle prit le téléphone et le tendit à Maëlle.

- Pourquoi tu lui réponds pas ?

Parce que j'ai envie d'être avec toi espèce d'abrutie, criait la conscience de la principale intéressée. Et de l'autre côté de l'écran, Milo attendait. Les minutes défilèrent sans qu'il ne décroche son regard des petites bulles d'SMS. Son petit frère se mit à crier et pleurer, sans raison une fois encore, et Milo dû le calmer, ce qui lui fit oublier que Maëlle n'avait pas répondu dans les cinq minutes qui avaient suivies comme à son habitude. Mais Milo ne s'inquiétait pas, il mettait souvent du temps à répondre, lui aussi. Et pourtant, lui, jamais il ne s'excusait de mettre des vents de plusieurs heures à Maëlle.

« Salut Maëlle! On peut s'appeler? J'envoie un message au cas où tu dormirais encore vu la soirée que vous avez dû passer hier😏 »

« Je suis avec Sasha, ça te dit on s'appelle plus tard? »

Elle avait finalement répondu, Sasha l'y obligeant. Il était deux heures de l'après-midi, les deux filles encore en pyjama sous leur couette, Maëlle s'étonnant de s'être réveillée aussi tôt. D'habitude, elle pouvait dormir jusqu'à seize heures sans que ça pose problème. Elle n'avait toujours pas fait ses devoirs, mais ça ne changeait pas de son quotidien, elle les faisait toujours à la dernière minute, demandant les réponses aux exercices à ses amis. Cette ado avait des notes de merde presque partout et s'en contre-fichait parce que rien ne l'intéressait alors devoirs faits ou pas, ça n'aggraverait pas son cas. Les maths étaient la seule matière où elle arrivait à atteindre la moyenne et son père la félicitait à peine.

Maëlle et Sasha posèrent leur tête sur le même oreiller et mirent un peu de musique. Elles se lançaient des coups d'œil discrets mais aucune des deux n'osa avouer à l'autre qu'elle avait bien remarqué ces petits regards en coin jusqu'à ce que la petite rousse brise le silence en rigolant :

— Pourquoi tu me regardes comme ça ? On dirait que tu veux m'embrasser.

— C'est le cas.

Merde. Merde ! MERDE ! Qu'est-ce que j'ai foutu ?! se lamenta Maëlle en son for intérieur.

Sasha sourit doucement. Elle aurait bien aimé l'embrasser aussi, mais ne le fit pas. Parce que c'était pas correct, ni pour Milo, ni pour Maëlle. Les jolis yeux pleins d'espoir de son amie la firent chavirer mais elle eut pitié aussi. Sasha ne voulait pas briser son petit cœur alors elle lui caressa les cheveux, passa une main sur sa peau et se leva.

Vingt minutes plus tard, Sasha avait passé le pas de la porte, Maëlle gardant en mémoire ses fossettes et ses yeux plissés qui lui adressaient un au revoir.

— On verra Maëlle, on verra, lui avait-elle dit.

Et le cœur de Maëlle avait sourit. Pourtant, au fond d'elle, l'adolescente avait souhaité qu'il se passerait un truc. Un truc comme un langoureux baiser cliché dont tout le monde connaîtrait la finalité : les deux filles auraient décroché leur soutif, découvrant leur corps ensemble et parcourant leurs courbes de leurs doigts habiles. Maëlle en avait tellement envie.

À la place, Sasha s'était simplement éclipsée, un voile sombre troublant ses yeux séduisants.

rainbow in greyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant