I - Irén

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L'un des souvenirs enfoui le moins profondément dans sa mémoire, c'est cette tarte. Cette tarte que son papa faisait pour les grandes occasions. Sur une nappe blanche à carreaux rouges, posée sur une simple assiette de porcelaine, elle a l'air si appétissante. Le dessus est un très simple quadrillage de pâte, masquant à moitié la confiture de framboise qui garnit la tarte, cette confiture dont elle raffole tant. D'habitude elle en étale simplement sur de fines tranches de pain brunâtre, à peine appétissant, le rendant bien plus agréable. Mais aujourd'hui n'est pas comme d'habitude. Son père a préparé cette jolie tarte dorée en y mettant tout son cœur, posant autour du plat deux épaisses bougies de cire blanche enfoncée dans deux antiques bougeoirs de cuivre. L'une est pour elle, l'autre est pour sa mère, avec qui elļe partage le même jour de naissance. Elles sont nées un beau jour d'octobre, un beau jour un peu triste parce que le ciel était gris, parce les rues étaient grises.

Helga salive devant cette si bonne tarte que son père coupe en quatre parts. Quatre ? Pourtant ils ne sont que trois dans ce petit ménage. Il aurait été si simple de la scinder en trois parts, mais, l'enfant, s'interrogeant pour des choses de bien piètre importance ne remarque pas la femme qui se tient aux côtés de sa mère sur le pas de la porte. Elle est toute mince, tant qu'elle semble flotter dans sa robe brune, ses cheveux d'un blond terne sont attachés en de minces nattes nouées autour de son petit crâne rond, comme une couronne dorée. Lorsqu'Helga l'aperçoit, elle reste interdite, et comprend qu'elle va devoir partager son gâteau d'anniversaire avec une personne de plus.

Irén. Elle s'appelle Irén. C'est un joli prénom pense-t-elle. Pas un prénom allemand, peut être hongrois. Oui, probablement hongrois, elle ressemble tellement à ces dessins où l'on voit de jolies femmes hongroises dans leurs costumes traditionnels, elle est jolie, blonde avec de beaux yeux bleus, si gracieuse. Mais elle a l'air si triste, comme si elle se retenait de pleurer. Eva, sa mère tient le bras blanchâtre de la jeune femme, comme si elle ne voulait pas la lâcher. Son époux prend son épouse dans ses bras, lui murmurant de sa voix à peine grave quelque mots, puis se tourne vers la nouvelle venue. D'un air accueillant, il la prend doucement dans ses bras, répétant plusieurs fois son prénom, comme un bout de musique hongroise dans ses oreilles, alors il pense en souriant à la belle Budapest, surnommée le petit Paris, où le Danube serpente, ruban bleu scintillant.

- Irén. Irén. Irén.

Et puis, autour de cette tarte aux framboises, coupées en quatres larges parts, dans une atmosphère obscure, où la seule lumière éclairant la vaste cuisine provient des deux bougies d'anniversaire d'Helga et Eva, posées de part et d'autre de la table. Les langues se délient. Irén est la fille d'une amie d'enfance d'Eva, une allemande, Amalia, ayant épousé un hongrois, emménageant avec lui à Budapest. Ils eurent deux filles, les ravissantes Irén et Margareta. Mais ils sont morts. Amalia, Lázár et Margareta. Pas Irén bien sûr puisqu'en cette soirée d'automne où le soleil est bien fatigué, elle se trouve dans cette cuisine en compagnie d'inconnus. Elle ne connaît que vaguement Eva, mais son attitude vis à vis d'elle la rassure, elle semble si bienveillante.

- Helga, Irén est ta grande sœur dorénavant. Tu auras une attitude bienveillante à son égard.

Elle est intriguée la petite Helga. Elle ne comprend pas tout à vrai dire, pourquoi Irén est toute tremblotante, pourquoi dans sa robe brune elle ressemble à un fantôme? Elle a un fort accent quand elle parle allemand. C'est si loin que ça la Hongrie ? La jeune femme qui a partagé avec elle et ses parents son gâteau d'anniversaire a l'air si fragile, une jolie poupée de porcelaine. Ses parents lui en offrent une, une vraie. Elle est rousse et a des yeux verts, une robe blanche en dentelle. Elle est très jolie dit elle à ses parents, heureuse. Elle les embrasse, et, voyant la pauvre Irén assise sur une chaise de bois, le dos bien droit et les yeux dans le vague, elle pose ses petites lèvres sur sa joue, et, dans un hongrois approximatif, lui adresse pour la première fois la parole, timidement.

- Irén. Si tu veux, je peux être ta sœur. Ta petite sœur. Je t'aimerais beaucoup je te le promet.

Tellement de naïveté, de sincérité dans ses paroles. Irén est touchée par les paroles de la petite Helga, elle est si gentille avec elle. En allemand, elle murmure un timide merci, et retire une des bagues sur ses doigts. Elle a de jolies bagues, en argent, en cuivre, en laiton et même une en or, serties de pierreries ou finement cisaillées. Celle qu'elle retire est en cuivre, avec une petite pierre verte.

- Pour toi. Elle était à ma maman. Bon anniversaire gentille petite sœur.

Petite sœur. Gentille petite sœur. C'est une sensation étrange de voir du jour au lendemain sa famille accueillir une autre personne, une autre personne qu'elle doit considérer comme sa sœur, et Eva et Ulrich comme leur fille. Mais ça lui plaît bien cette présence de la timide Irén. Elle a l'air si gentille, si intelligente, si douce.

- Si l'on te demande qui est elle, tu diras que c'est ta sœur, élevée dans une institution en Hongrie.

Elles ne se ressemblent pas. Les yeux d'Helga sont marrons, ses cheveux aussi, alors qu'Irén possède des yeux bleus et des cheveux blonds. Mais la petite fille l'aime déjà, sa nouvelle grande sœur. Elle partage avec elle sa petite chambre, elle dort sur un matelas à même le parquet grinçant, préférant laisser à Irén son lit et son édredon moelleux. Irén lui apprend un peu de hongrois, elle est si douce, si gentille avec elle, parfois pour faire plaisir à Ulrich elle cuisine du goulasch. Il aime beaucoup la Hongrie, et, tous les membres de la petite famille se plaisent à écouter leur nouveau membre raconter son enfance, ses parties de cache cache dans les rues pavées de Budapest, la campagne hongroise, les palais, non sans que ses yeux se remplissent de larmes timides, donnant à la conversation une allure particulière, pleine de nostalgie.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 01, 2019 ⏰

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le sourire d'helgaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant