Chapitre 3. Sale dimanche.

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Dès que je me réveillai, la pause prit fin et je me souvins de tout. De celui qui désormais vivait sous notre toit. Se révolter ne servirait peut-être à rien mais je résisterais jusqu'au bout autrement, avec moins d'éclat sans doute, mais de manière tout aussi efficace. J'avais besoin de déployer l'étendard de mon désespoir. De ma jalousie ? Où était-ce plus complexe ?

Ce dimanche, j'étais furieux et frustré. Mais je n'avais pas envie de m'expliquer avec la proprio à cause d'un trou dans le plâtre du mur. Donc je balançai un coup de poing dans mon deuxième oreiller, encore un autre, puis un coup de pied dans le matelas.

Putain, Yancy Holley allait être là, entre le jus d'orange et les céréales. Auxquelles j'ajoutai des pancakes à la myrtille, dont je reconnus l'odeur à partir du couloir. Yancy attendait à table, immobile et silencieux. Est-ce que mon poing le ferait réagir ?

— Ty ! Bonjour ! s'exclama ma mère, comme si notre discussion de la veille n'avait pas eu lieu et que je n'étais pas fâché. Demain, comme tu as une voiture, Yancy ira avec toi à la fac communautaire et tu le ramèneras.

— Ça y est, je suis devenu un Uber, ricanai-je. Gratos, en plus.

— Il s'est inscrit juste après avoir obtenu son diplôme au centre de détention, continua ma mère, en ignorant ma remarque. Il sera en première année mais vous vous verrez le midi, et peut-être que vous aurez des cours en commun, du genre de ceux qui sont plus rares ?

— Ce n'est pas parce que tu as sorti le grand jeu avec les muffins et les myrtilles, que je vais aller vérifier mon emploi du temps, grognai-je. J'aurai la surprise, dis-je avec un sourire mauvais. J'espère que ce sera la seule. Avec les ex-taulards, on ne sait jamais.

— C'est ça, qui te fait peur ? s'informa ma mère.

— Et tout ce qui vient du passé, ouais.

— Yancy a vécu des choses difficiles, comme toi, approuva-t-elle.

— Justement, me le rappeler en permanence me fout en l'air. Le voir me fout en l'air ! m'exclamai-je, en repoussant mon bol de lait et en en renversant un peu sur la table.

— Ty ...

— Caractériel, énonça Yancy sans lever le visage. Il y en avait, au centre.

— Je te demande pardon ? Tu m'as traité de quoi, le taulard ? criai-je en serrant les poings. Tu ne crois pas que toi, tu finiras comme ton dégénéré de père ?

— Ty, s'écria ma mère d'une voix tremblante, je t'en prie, tais-toi. Je ne peux plus supporter ça. Je t'ai tout dit sur Yancy pour que tu le comprennes, pas pour que tu fasses des crises.

— Caractériel, crises, vos opinions se rejoignent, on dirait, ironisai-je. Vous me virez quand ?

Ma mère secoua la tête et je crus entendre Yancy soupirer. En réalité, j'avais peur. D'abord, ma mère n'était qu'à moi, et comme Yancy se montrait plus correct que moi avec elle, je risquais de la mettre en rogne. Mais c'était plus fort que moi. De plus, Yancy venait du centre pour délinquants mineurs, là où j'aurais pu finir, au vu de l'héritage génétique de nos deux pères. Yancy représentait tout ce dont je ne voulais pas. Tout ce que je voulais, aussi. Cette beauté taciturne, cet air insondable... comme les abysses.

Yancy acheva son petit-déjeuner et annonça, très bas, qu'il allait prendre sa douche. Je me relevai aussi et je m'avançai vers sa chambre. Je refermai la porte le plus doucement possible. Il n'y avait rien d'autre qu'un réveil sur la table de chevet collée au mur.

J'ouvris le tiroir. Bingo. Je découvris la photo non encadrée d'une jeune femme, aux couleurs un peu vieillies, décolorées, un peu écornée, mais sur laquelle on voyait très bien qu'il s'agissait de la mère de Yancy. Même cheveux châtains, en plus longs, même traits, si beaux, en plus féminin. Ils se ressemblaient indéniablement. Mais elle souriait tandis que je n'avais pas vu Yancy sourire. Je n'étais même pas sûr de le vouloir. Je remis la photo à sa place. Puis je m'agenouillai pour voir sous le lit, parce qu'il ne pouvait pas planquer quelque chose ailleurs. J'aperçus le carnet où il dessinait, peignait. Il était grand, avec des feuilles épaisses.

Toujours plus loin avec toi, roman édité, cinq chapitres disponibles.   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant