Chapitre 1. Je ne veux pas bouleverser ma vie.

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Trois ans plus tôt.

— Pour l'amour de tout ce que tu veux, Nicky, ne lâche pas ma main, OK ? hurlai-je.

— Tu ne tiendras pas, Yancy, je le sais, sanglota mon petit frère, les yeux agrandis par l'effroi.

— Je tiendrai, pour toi, parce que je t'aime. Et toi aussi, tu vas tenir.

— Je préfère tomber sur le trottoir plutôt qu'il fasse encore tout ça.

Sa main était molle, sans force. Il abandonnait la lutte et c'était sa volonté. Oh non ! Heureusement, il ne voyait pas le vide au-dessous de lui, puisqu'il me fixait. Moi je voyais ce vide immense, mortifère, je ressentais ce vertige fatal. Le corps de Nicky se fit lourd, si lourd. Soudain, il se détacha de moi. Lentement. Comme au ralenti.

— Nicky ! criai-je, et je tentai avec frénésie de rattraper ses doigts en me penchant toujours un peu plus.

Un instant, je crus que ce serait possible. Puis tout s'accéléra, dans une impression d'irrémédiable. Je me détournai. Je refusais de regarder son corps par terre. J'entendais déjà des femmes crier en contrebas et des attroupements de gens qui discutaient se former.

Je n'avais plus qu'une chose à faire. Pour Nicky. Prendre la carabine sous le lit et débarrasser le monde de sa présence. De toute façon, qui était-il, à part un monstre ? Ma famille n'existait plus, et il n'en faisait pas partie, même s'il avait participé à ma conception. Nicky n'était plus, ma mère avait disparu dans la nature longtemps auparavant.

Et quand ce serait fait, on m'enfermerait dans un endroit aussi sombre que ce qu'il avait fait de mon esprit et de ma vie.

Je chargeai l'arme.

***

Square Alamo, San Francisco, de nos jours. Ty.

Putain de bordel de merde.

D'habitude, la vision de ces vieilles maisons restaurées et colorées, collées comme pour se soutenir et résister face aux buildings qui apparaissaient derrière elles, suffisait à m'apaiser.

D'habitude, je fumais un joint et San Francisco, mélange de tant de cultures, prônant la tolérance, les différences et la liberté, m'apparaissait comme la plus belle et la plus rassurante de toutes les villes.

D'habitude, les conneries de mes potes me faisaient marrer. Mais là, leurs voix me parvenaient sans que j'en distingue le sens. Je triturais la déchirure au genou de mon jean noir et je regardais passer les promeneurs. Sans succès.

Je reportai mon attention sur le danseur étoile, comme on l'appelait, pour me concentrer sur autre chose que cette putain de nouvelle qui m'était tombée dessus au petit-déjeuner. Le danseur étoile avait déjà un certain âge, ce qui expliquait sa présence quotidienne. Il devait être à la retraite. En général, il arrivait, ôtait ses fringues et ne gardait qu'un slip blanc distendu qui ne cachait rien de son anatomie tombante. D'abord, il s'étirait. Puis le show commençait. Il tournait sur lui-même, sauts, pointes, ou ce qui s'en approchait le plus. Ça faisait rigoler les touristes et les habitués. Il faisait partie intégrante du coin. Du décor. J'avais besoin de voir ce spectacle après avoir ruminé toute la journée à la fac communautaire.

Derrière nous, une famille fêtait l'anniversaire d'une gamine en robe à paillettes violette, avec un gâteau hyper coloré. Quand elle souffla les bougies, et que ses parents et sa famille applaudirent, le danseur étoile prit ça pour lui, écarta les bras et salua la foule. Je rigolai et mon pote Kenneth aussi.

— Ce barge, s'il décidait de ne plus venir, il nous manquerait, souligna-t-il.

— Hey, Ty, tu comptes le garder pour toi, le joint ? me cria Lesley, la rebelle aux cheveux turquoise.

Toujours plus loin avec toi, roman édité, cinq chapitres disponibles.   Où les histoires vivent. Découvrez maintenant