Ce lundi matin-là, j'étais d'une humeur tellement massacrante que j'en aurais bien démonté le robinet de la douche, avant d'essayer d'exploser le carrelage avec. Combien de jours allais-je tenir ? Si nous avions eu un ballon d'eau chaude, au lieu de posséder un autre type de chaudière, j'aurais tout vidé pour que Yancy n'ait que de l'eau froide.
Je sortis de la cabine, serviette autour de la taille, et je m'habillai dans ma chambre avec un t-shirt d'un groupe de rock et un jean presque blanc tailladé sur les cuisses. J'attrapai mon sac à dos. Dans la cuisine, je ne dis bonjour à personne, montrant bien mon énervement. Je bus du jus d'orange, mangeai mes céréales à toute vitesse sans regarder qui que ce soit. Ma mère et Yancy ne disaient pas un mot. Mon bol fini, je le mis dans l'évier et je me cassai, pour attendre l'ex-taulard près de ma Chevy.
Il arriva moins de cinq minutes après, avec des traces de dentifrice sur les lèvres, et je me gardai bien de le mentionner. Il portait ses fringues minables. Il allait se faire charrier ou passer pour un excentrique adepte de la mode ultime.
— Je préfère te prévenir, déclarai-je, avant de déverrouiller ma vieille Chevy. Si tu veux que je t'emmène le temps que tu aies ta propre bagnole, tu as intérêt à changer de fringues, dis-je sur un ton venimeux. Parce que là, ce n'est juste pas possible qu'on me voie avec toi. T'avoir près de moi, c'est déjà une épreuve, mais avec ces vêtements, ça devient un supplice.
— Je n'ai pas d'argent pour l'instant, dit-il sans me regarder.
— Parce que tu crois que j'en ai plus que toi ? Je fais des petits boulots l'été, sur le Pier 39 par exemple, mais le reste de l'année, y compris dans la restauration, c'est plus compliqué.
— À cause de ton propre look, répliqua Yancy. Il faut y ajouter la tête que tu fais. Tes habits pourraient passer à certains endroits mais pas partout. Et voilà, un partout, la balle au centre.
Bon sang, ça devait être le plus long discours qu'il ait jamais prononcé.
— Je crois rêver, c'est toi qui juges mon look ? m'écriai-je. Putain, va te faire foutre avec le tien avec qui ne ressemble à rien.
— Me faire foutre ? Désolé, je n'ai pas de copain.
— Tu es gay ?
— Ouais. Un problème ?
— Avec ça ? demandai-je avant d'exploser de rire. Pas vraiment. Le problème, c'est toi, mec, encore et toujours. Figure-toi que mon ami Alton est gay lui aussi. Je te jure que si tu t'approches de lui, je te démonte.
— Je n'en ai pas l'intention. De toute façon, je n'ai jamais eu de mec et je ne veux pas que ça change, c'est une forme de dépendance, jeta-t-il, et pour une fois, j'étais d'accord avec lui.
— Alors c'est parfait, conclus-je. Oh, et une dernière chose. Tu fais le tour du quartier et tu trouveras des magasins de fripes. Le « Purple Cat » est génial. J'y ai trouvé des marques à peine portées.
Il hocha la tête, l'air presque indifférent. J'ouvris ma voiture. Yancy garda le silence, tourné vers la fenêtre, jusqu'à l'arrivée. Je me garai à l'écart, comme à mon habitude, et je me dirigeai vers le bâtiment bleu clair des arts et des lettres, entouré d'arbres et de buissons bien taillés. Yancy me suivit, les yeux rivés sur son emploi du temps. Je pris à droite au rez-de-chaussée et j'avançai vers l'une des plus petites salles, la F. Putain, Yancy jeta un coup d'œil à la porte et s'arrêta, s'appuya contre le mur.
— Bordel, ne me dis pas ... commençai-je.
— Mon premier cours, c'est l'adaptation des classiques littéraires à travers les autres arts. Peintures, films, BD, confirma-t-il.
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Toujours plus loin avec toi, roman édité, cinq chapitres disponibles.
RomanceToujours plus loin avec toi San Francisco, de nos jours. Ty Callaway, vingt ans, vit avec sa mère dans un logement social. Il vivote, entre la fac communautaire et ses potes, hanté par une enfance difficile. Un cataclysme vient bouleverser son exis...