[Chapitre 3] - Hélianthe

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Au moment où je m'extirpe de ma lecture, j'aperçois les remparts crénelés de la cité, cerclés d'un océan de tournesols. Les fleurs, d'un jaune vif, sont dirigées en direction du château, dupées par sa belle lumière. La ville s'élève sous mes yeux, imposante et fortifiée. De grands édifices ocrese détachent des autres habitations pourvues de tuiles orangées. Le temple transperce le ciel telle une flèche incandescente. Lorsque le soleil tape avec ardeur, la clarté intense qui s'en dégage donne l'impression que les bâtiments sont faits d'or. La cité étincelle de mille feux. Chaque fois que je passe entre les deux tours de guet, je ressens une vague depatriotisme.


Nous traversons le pont et les portes sans encombre ; les artères de la ville sont plus animées que jamais. Les sabots de nos chevaux claquent sur les pavés. Nous les laissons chez le maréchal-ferrant ; au-delà, les rues sont réservées aux piétons. Telle une mule bien rodée, je trimballe autant de plateaux que je peux en porter pour les transférer dans une charrette à bras. Les brancards en main, je commence à pousser sur les traces de ma mère. Elle presse le pas et je dois me hâter pour ne pas la perdre de vue. Par deux fois, elle me rappelle à l'ordre. N'importe quelle devanture attractive peut me faire oublier mes priorités.

Des passants nous saluent, de jeunes enfants qui jouent à griffon perché se mettent à nous poursuivre, attirés par le fumet exquis. L'index posé sur ma bouche d'un air complice, je leur glisse quelques pièces. Les commerçants ont sorti leurs étals et bientôt les rues grouilleront de monde. Nous longeons les boutiques des artisans, apothicaire, orfèvre, forgeron. Une vraie fourmilière. Les Hélianthiens ne sont pas connus pour chômer, même s'ils raffolent des jours fériés et des fêtes. Auberges et tavernes sont très demandeuses de ces douceurs qui ravissent le palais des citoyens. Nous nous arrêtons dans chacune d'elles. Les uns se lèchent les babines, les autres se frottent les mains et notre bonne pâtissière récupère des pièces ou un échange de service. Tout le monde y trouve son compte.


Le château est construit sur les hauteurs, et les rues sont de plus en plus abruptes. Au bout de deux bonnes heures, je sue à grosses gouttes et mes bras fourbus demandent grâce. Chaque année, j'attends avec une fiévreuse excitation le Grand Marché et la Foire aux Inventeurs. L'occasion idéale pour dénicher des pépites, livres rares, grimoires anciens. Les échoppes proposent d'incroyables objets venus de loin, parfois magiques. L'année dernière, un dictionnaire de runes est entré en ma possession après un marchandage houleux. Une acquisition dont je suis fière.

Tandis que je lampe goulûment l'eau de ma gourde, ma mère me signale que la taverne d'Amlette reste à approvisionner ; ensuite, nous nous attaquerons aux stands du marché.Mon enthousiasme reprend le dessus à la mention de ce nom. J'adore cet endroit. J'essuie mon menton et dépasse ma mère avec entrain avant de sourire à la traditionnelle enseigne sur laquelle un cochon jongle avec trois chopes. Une taverne d'abord interdite aux hommes, jusqu'à ce que la propriétaire décide que même ces messieurs pouvaient jouir de son raffinement et venir combler leur part de féminité.


Ma mère me laisse m'occuper de la transaction pour discuter avec une connaissance. Mon entrée se fait sous un tintement de cloche aigu. Cette auberge ne ressemble à aucune autre : charmante, frivole et coquette. Des couronnes fleuries entourent les poutres tels des serpents et des nappes recouvrent chaque table. Des pots en verre garnis de sable coloré ont été enrubannés et des guirlandes de papiers en forme de papillons se balancent au-dessus de ma tête. Même si la salle est vide, je sais que d'ici quelques heures elle se remplira de badinages, debruits de lèvres qui sirotent le thé, d'odeurs de chèvrefeuille et de bergamote.

La Passeuse de Mots - Tome 1 [Sous Contrat d'Edition Hachette Romans]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant