Part 1

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Mon samedi soir vient de partir en fumée, littéralement. La vieille folle du premier étage a encore tenté de mettre le feu au hall de l'immeuble, l'ascenseur est resté hors service pendant une heure et tout le monde a été évacué dans la rue par sécurité. Il est impossible pour moi de rentrer me préparer pour la soirée de ce soir. Super fatiguée, je me dépêche de regagner mon appartement pour aller prendre un bain une fois le problème résolu. Le bordel occasionné m'a vidé de toute motivation, tant pis pour ma sortie. Il est déjà 21 heures et je me suis même pas encore lavé les cheveux, sans compter la routine maquillage et le trajet, autant rester tranquille et mater quelque chose sur Netflix. La vieille dame risque de ne pas s'en tirer cette fois, un vrai phénomène. Elle habite seule et malgré son âge avancé, c'est une vraie pile électrique pleine d'énergie, qu'elle dépense de manière totalement farfelue, bruyante et insuportable. Depuis que j'habite ici madame Debreu avait déjà provoqué trois feux, organisé un rassemblement de drogués en voyage chamanique, lâché une cinquantaine de chiens errants dans les cages d'escalier et orchestré deux fausses tentatives de suicide afin « d'attirer l'attention d'un djin ». Et j'ai emménagé il y a seulement 6mois...
Elle doit avoir dans les 80 ans, et je pense que ses phases de folie s'expliquent par une consommation légèrement abusive de champis hallucinogènes et de cannabis. Ce qui à impacté ma propre consommation; je ne consomme pas de champis mais je me suis quand même résolue à jeter mon deuxième bong et à limiter mes achats d'herbe magique.
Le fait est que cette fois, madame Debreu serait sûrement placée en maison de retraite ou quelque chose dans le genre d'après le concierge. C'est un gentil petit homme rondouillet, la cinquantaine, qui m'avait bien aidée pour le déménagement. Je suis originaire de Toscane, en Italie, je suis née à Sienne il y a 19 ans. Je fais des études dans une école de renom dans mon pays natal, et nous avons été envoyé dans différentes villes et grandes entreprises de France, d'Espagne et d'Allemagne pour une immersion cette année. Quant à moi j'ai atterri à Paris, capitale de l'amour et de la mode, dans l'une des principales filiales du géant américain Evil. C'est un magasine très réputé d'origine New Yorkaise, ayant très rapidement connu un succès international. C'est pour moi une chance d'assister en tant que stagiaire aux opérations en coulisses, dans les bureaux. C'est très prenant comme stage, le premier à l'étranger depuis que j'avais commencé mes études après l'obtention de mon bac, il y a presque deux ans. Cette soirée aurait dû me permettre d'évacuer une certaine pression, aurait dû être mémorable ...
"Ahr et puis merde"
Après être sortie de mon bain et avoir enfilé mon peignoir, je m'empare de mon plus vieux rescapé et fidèle Donkeybong, je sors "my special and lovely weedbox" et choisis deux belles têtes de Mr. Lemon Haze. Le temps de préparer le matos et je suis opé pour la détente. Au moins une dizaine de ghost plus tard et le blanc des yeux finalement rougis comme la sauce tomate d'une pizza, les effets de la weed font leur apparition et le reste de la soirée se passe dans un agréable brouillard.

Les dimanches matin sont mes préférés. Contrairement aux autres jours, ces matins ne sont pas perturbés par la sonnerie de mon réveil, c'est le seul jour où je m'accorde quartier libre, peu importe si je me réveille à 10, 12 ou 13 heures. Surtout après une soirée déchaînée. Quoi de mieux qu'un réveil naturel et en douceur ?
Cependant, mon changement de plan pour la soirée d'hier soir fait que j'ouvre les yeux à 9:30 seulement ce matin là, mais pas de manière très naturelle.
Je met un moment avant de comprendre que mon téléphone vibre sous ma joue, que je me trouve dans mon canapé et pas dans mon lit, et qu'il ne reste dans ma weedbox que 5 variétés de kush différentes. Autrement dit, j'ai fumé l'intégralité de ma réserve de Lemon Haze, soit 4 belles têtes bien trichromées. Oups, je me suis laissée allée, la détente a dû être profonde. L'esprit encore embrumé par le sommeil, je réponds aux assauts vibrants de mon portable:
-"Mouais allo ?"
-"Alessia enfin ! Tu reconnais encore ma voix quand même rassure moi ?"
-"Euh... Oui Éloïse ?"
-"Où étais-tu passée ? Je t'ai appelé tellement de fois hier soir, t'es pas venue à la soirée ça te ressemble pas"
Je soupire.
-"Ouaaais... Je te raconterais bien mais je n'ai pas envie d'éveiller chez toi un sentiment de pitié"
Elle rigole et me supplie presque de tout lui livrer en détail. Je lui explique donc que la vieille folle du premier a encore failli brûler l'immeuble et que ma journée de stage finie, j'ai dû patienter jusqu'à 20heures devant ma résidence en attendant que la retraitée soit maîtrisée et le départ de feu éteint. Les anecdotes concernant madame Debreu ne manquent jamais de faire rire mon amie. Elle se moque ensuite de moi quand elle apprend que j'ai passé la soirée en peignoir, bong dans la main et conso étalée sur la table basse devant un programme Netflix que j'ai vu sans regarder.
-"Merde Alessia tu régresse" rigole Éloïse, "trouve toi un mec ou un de ces jours tu finiras par baiser avec Donkeybong"
-"Pas le temps pour les mecs. Alors la soirée c'était bien ?"
-"T'inquiète pas sale droguée, l'alcool c'est horrible mais ça a suffit, j'étais était là pour mettre l'ambiance. Je te raconterais lundi, là je te laisse je suis dans le speed je me suis levée tôt exprès pour un jogging matinal."
-"Un jogging à 10 heures c'est pas hyper matinal ça" Je lui dis histoire de la faire un peu chier avant de raccrocher.
Je nettoie mon appartement jusqu'à midi, je fais ensuite des pâtes et je m'affale dans mon canapé en cuir froid. Je zappe un peu sur les chaînes de télé avant de faire un tour sur Netflix, histoire de rentabiliser mon abonnement, mais je n'arrive pas à me concentrer sur ma série. Donkeybong me fait de l'œil depuis la table basse.
Ahr, j'aurais dû le ranger avant, tant pis. Je l'attrape, remplace l'eau et place deux têtes d'Amnasia que je fume tranquillement. J'ai connu des jours plus sains.

Le réveil lundi matin est comme une gifle, ou un saut tête la première dans un bassin d'eau glacée. Mon week end avait certes été assez reposant, devoir sortir du lit dans la fraîcheur du matin n'a jamais été mon point fort. Les températures du printemps dans la capitale sont plutôt déstabilisantes, et contrastent avec la douce chaleur de la région où je suis née. Mes parents sont de riches et puissants bourgeois commerçants italiens, et ont aisément pu me payer un appart correct dans un quartier branché de Paris pendant la durée de mon stage. Je me déplace en métro, comme la plupart des habitants de la capitale et j'arrive au siège parisien de Evil à huit heures, comme d'habitude. Je suis du genre ponctuelle, malgré mes tendances fêtardes.
Les locaux de Evil se trouvent dans la Tour Montparnasse, et occupent les 5 derniers étages du gratte-ciel parisien.
Je ne suis pas fan des ascenseur mais, devant me rendre au 55ème étage, grand open space afin d'y trouver ma responsable de stage, l'option escalier relève d'un défi Koh Lanta. Et puis je ne voulais pas être en retard.
Ce matin le hall de la Tour est bondé et les trois grands ascenseurs au fond du hall classe et lumineux n'arrêtent pas d'aller et venir. Au moins s'il y a une panne je ne serais pas toute seule, je pense.
Je m'engouffre dans un ascenseur sur le départ et commande mon étage avant d'entendre un claquement de talons singulier sur le sol en marbre blanc du hall, et de sentir une présence ainsi qu'un parfum féminin s'imposer dans l'ascenseur, juste avant que celui-ci ne referme ses portes.
Comme tout le monde dans l'ascenseur, j'ose pas la regarder, mais je sais qui c'est.
Zoe Saint-Saulves, la fille du PDG et actionnaire principal de Evil France. Future héritière, elle se prépare à la restitution de l'empire de son père.

EVILOù les histoires vivent. Découvrez maintenant