Colin -- Nuit

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Avertissement : maladie chronique

⭐⭐⭐⭐

Les douleurs recommencent leurs assauts peu après qu'il s'est couché, mais ce n'est pas grave. Ce n'est pas grave parce que dans l'obscurité de la nuit, dans l'intimité de sa chambre, il n'y a pas de risque que quiconque le remarque ; Him-chan sait déjà. 

Ce n'est pas grave parce que même si les crampes sont plus violentes, il peut les laisser déborder sur son visage sans devoir ajouter au reste l'obligation de maintenir le masque. Ce n'est pas grave parce que durant une journée de plus, personne n'a soupçonné quoi que ce soit.

Même Claire, même après cette absence de quatre ans, même en sachant le secret qu'il cache, n'a rien entrevu. Si sa sœur avait suspecté le moindre inconfort, elle se serait fendue d'une remarque, d'un regard inquiet ou réprobateur — elle ne serait pas restée sans réaction. Il est donc pleinement rassuré : derrière ses phrases, ses sourires et ses gestes, ni Claire, ni leur cousine, ni les autres, ne devinent les meurtrissures de sa réalité.

Et ce n'est pas grave si les nuits sont pires : il le choisit. Chaque jour, il recule autant qu'il le peut le moment de prendre son dîner avant l'heure du coucher. De cette manière, lorsque les élancements reprennent, c'est derrière une porte fermée.

C'est moins grave — moins grave que de devoir sourire sans tressaillements des lèvres au cours de la journée alors qu'il a l'impression qu'on lui poignarde l'abdomen avec plusieurs couteaux à la fois. Moins grave que de devoir danser, chanter, rire, répéter, s'entraîner, courir, se muscler, signer des autographes, se faire bousculer, faire face à des caméras, poser pour des photos, enregistrer des vidéos, répondre à des journalistes, quand des maux qu'il doit rendre invisibles l'envahissent. Quand des spasmes le prennent, tremblements de terre sous la surface lisse de l'océan qui ne frémit pas — qui ne le peut pas. Quand il incurve les lèvres de façon lumineuse par-dessus des nausées. Quand il force ses articulations raides et gonflées à plier avec une élégance impossible. Quand l'angoisse de savoir combien de temps il pourra tenir sans s'éclipser accapare son esprit à l'insu de ceux qui l'entourent. Dans son lit, tout est moins grave, car il peut y être malade ouvertement.

Sous le drap, il se recroqueville en chien de fusil. On lui lacère le ventre, on arrache ses entrailles, on le met en pièces — il étouffe un petit rire : si seulement. Si seulement on pouvait lui cisailler le nombril et tirer hors de lui toutes ces viscères qui se gangrènent et le font tant souffrir.

Mais ce n'est pas grave parce qu'il parvient à poursuivre une vie à laquelle il n'a pas droit. Et puis, ça passera : d'ici quelque temps, il sait qu'il y aura un répit de quelques heures jusqu'au matin. Lorsqu'ils dorment chez eux, c'est une routine bien huilée qui lui permet d'anticiper l'œil du cyclone et de patienter jusque là.

La douleur est partout à un endroit ou à un autre, mais ce n'est pas grave car il est seul au courant. Tant que personne ne le découvre, il aura le droit de continuer à rêver. Il sera considéré comme les autres ; il aura l'opportunité des mêmes chances qu'eux, du même respect, de la même admiration.

Pourquoi lui, parmi tous ? N'avait-il déjà pas suffisamment de croix à porter avec le reste de ses différences ? Mais il ne faut pas qu'il se pose de telles questions : s'il le fait, il oublie que ce n'est pas grave. Le désespoir, le sentiment d'injustice, la colère, le dégoût, tout cela s'ajoute alors à un fardeau déjà trop lourd. Il ne faut pas — c'est lui, mais ce n'est pas grave.

Une crampe impérieuse, brutale, lui donne l'impression que son abdomen se déchire de part en part. Il étouffe un gémissement dans son oreiller tandis que son corps se tend, puis se relâche après quelque minutes lorsque le mal reflue un peu, vague inexorable qui ne recule que pour avancer ensuite plus loin.

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