Paris-plage

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Il marche seul dans la ville, bifurque dans les ruelles sombre du royaume de la nuit, ou royaume de minuit.
Il sait où il va ; au seul endroit où il se sent invincible.
La voilà enfin sur la promenade de la plage, le sentier des doutes.
Ce soir elle est presque déserte, mis à part quelques badauds qui traînent tout en lui jetant des regards méfiants. Qui sait quel mauvais coup leur prépare cet étrange gamin aux yeux d'océan.

Il sent le sable fin sous ses pieds et cela le remplit d'allégresse. Il avance pas à pas, seul face à la mer.
Et il se met à crier en direction des étoiles. Il hurle les tourments qui l'habitent, d'une voix qui vient du plus profond de lui-même.
Il n'y a pas de murs pour l'arrêter ; ce soir il ne se fera pas enfermer.

Le voilà maintenant qui s'avance vers l'eau.
Le clapotis des vagues l'hypnotise encore, après toutes ces années qu'ils se côtoient.
Les vagues se succèdent sans paraître le toucher. L'eau danse et entoure ce garçon comme elle retrouve un vieil ami.
Il ignore le froid et affronte les vagues pour s'enfoncer inexorablement, de plus en plus profondément.
Enfin il cesse sa progression pour faire volte-face. L'eau atteint maintenant son cou.
Les gens sur la plage ne sont plus que des silhouettes sombres. Il sent au loin leur regard pesant.
Certains s'inquiètent pour lui. Il est bien le seul à nager si loin à une heure pareille.
L'adolescent hésite. Il se demande s'il devrait plutôt retourner à la plage ou nager encore plus loin pour assouvir ses envies de liberté.
Pourtant, il ne flotte pas encore, alors il ferait mieux de rebrousser chemin.
Fais demi tour, lui intime une partie de lui même, la seule qui n'ait rien abandonné.
Il se décide enfin à sortir de l'eau, rattaché à ce fil translucide que lui seul peut percevoir.
Le voilà maintenant marchant face à la mer.
Il lui  arrive de croiser des personnes à qui, sur les lèvres, naissent des sourires francs, mais toutefois hésitants. Ils ne voient qu'un gamin aux habits trempés lui collant à la peau. Ils voient un enfant aux mèches emmêlées, au visage salé par les vagues, si ce n'est par les larmes.
Il n'a quant à lui plus qu'un quel désir, il veut ouvrir sa chemise trempée et sentir le vent sur ses joues rougies.

Il court.
Il court, de toutes ses forces. Il court loin et sans réfléchir, il n'en a plus les moyens.
Il court seul et cela lui suffit parce qu'au fond, il l'a toujours été.
Est-il, es-tu, passionnément heureux ou profondément malheureux ? Même celui que raconte cette histoire ne le sait pas.

Le voilà à bout de souffle au bout de la corniche, au bout de la plage, au bout de son monde.
La nuit est tombée, et pour de bon cette fois-ci.
Il s'arrête et s'appuie contre un lampadaire pour reprendre son souffle. Sa silhouette est la seule ombre projetée sur le sol illuminé d'un halo de lumière.
Le voici, cet enfant auréolé comme un ange, qui se laisse choir sur un
banc immaculé de bleu et de grains de sable incrustés. Et maintenant, ses paupières lourdes se ferment. Le petit être du sommeil s'est endormi dans l'instant.

Quelques heures ont passé et elles ont leur importance. On aurait du mal à l'imaginer comme un être humain normal, et pourtant lui aussi doit vivre et apprendre à le faire ; il doit suivre des cours pour soi-disant s'éduquer, comme disent les adultes d'un ton si religieux.
Il se laisse tomber sur sa chaise, dans une interminable routine qui se répète à l'infini.
Certains le regardent avec appui et pourtant il les ignore royalement car cela lui importe peu.

Les cheveux en bataille, les habits à peine séchés.
Du sable sur les bras,
Les yeux cernés de fatigue.
Les yeux remplis de détermination,
Il regarde par la fenêtre, car ce soir à nouveau il sera le roi.
Le roi des océans.




« Ce que je veux dire, c'est qu'elle avait des yeux où il faisait si bon vivre que je n'ai jamais su où aller depuis » Romain Gary, La promesse de l'aube

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