chagrin d'aquarelle

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Ses larmes parsemaient le chemin tracé il y a bien longtemps dans la forêt. Ses pas et son chagrin étaient lourds. Elle appréhendait l'atmosphère vide de sa maison, le manque de la présence qui, jusqu'à aujourd'hui, l'avait bercée de sa voix. Alors, elle avait préféré, comme à son habitude lorsque son cœur lui pesait, s'aventurer dans la forêt bordant son village. Elle avait apporté sa toile et sa vieille palette d'aquarelle. Lorsqu'elle se fut enfin égarée de l'ennuyeux chemin, elle retrouva le paysage qui lui était familier. Là, deux chênes, si proches que leurs branches s'enlaçaient, abritaient son chevalet, protégé des intempéries par un carton brun, qu'elle avait décoré de bleus et de mots qu'elle aimait. Elle l'installa, et y plaça sa toile. Enfin prête, sa palette dans sa main gauche et son pinceau dans sa main droite, elle leva les yeux vers le ciel. Il s'était mis à pleuvoir. Les gouttes de pluie se mêlaient à ses larmes, et elle soupira, rassurée de n'être seule à pleurer. Après quelques instants, son regard se porta à nouveau sur sa palette. Elle prit de son pinceau, une touche de bleu déjà noyé par l'eau tombante. Puis, elle l'approcha, hésitante, de la toile désormais inutilisable car trempée. Enfin, elle posa, tremblante de froid, et sûrement de solitude, ses poils bleus, sur le haut de celle-ci. Immédiatement, la peinture coula, suivant les filets d'eau déjà présents. La jeune fille sourit à cela. Ce mouvement, bien qu'elle n'en sache pas la raison, lui semblait apaisant. Encouragée par cette première tentative, et par le bruit de la pluie toujours plus battante, elle ajouta un bleu plus clair, qui se fondit avec l'ancien. Elle continua, utilisant chacune des couleurs de sa palette. Ses gestes se furent de moins en moins définis, de plus en plus spontanés. Aucune forme n'était distingable, aucune image n'était dessinée. Pourtant, elle reconnaissait sur la toile, la pluie qui faisait rage, le vent déchaîné, et les arbres fiers dont la posture traduisait une force indéniable. Elle pouvait y entendre leurs murmures, traversant son âme, et leur souffle, brouillant son esprit. Alors, elle oublia tout problème et tout contrôle. Elle choisissait, dans ses mouvements effrénés, le hasard des couleurs dans lesquelles elle trempait son pinceau, et celui des traits qu'elle traçait sur sa toile. Les sons l'assommaient, et la terre s'agrippait à ses pieds. Elle disparaissait, pour laisser place aux bruits parcourant la forêt, aux couleurs imprégnant la toile et à l'ivresse s'accrochant à son cœur. Ses vêtements étaient tâchés, sa respiration haletante et ses yeux brûlants. Son corps dansait, dirigé par l'instinct de créer, et ses doigts maniaient son pinceau comme l'archet d'un violon. Mais les notes étaient fausses et les sons étaient sourds. Elle se perdait dans le chaos l'étouffant, et tremblait ; de froid et de solitude, de solitude et de froid, de froid et de solitude, de solitude et d'effroi.

musique ~ Churchyard, Aurora

paint me a storyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant