Elle ressent. Son cœur bat, du sang coule dans ses veines, des pensées bouleversent son esprit. Elle ressent. Elle est en vie. C'est terrifiant la vie, les émotions aussi. C'est comme être attaqué par des couleurs, se retrouver noyé sous la peinture.
Elle avait eu peur de ne plus pouvoir respirer, peur que ses poumons ne puissent plus supporter la montagne de couleurs qu'elle avait en elle. Alors, elle avait tout enfoui sous des sourires calculés, des airs détachés et une démarche assurée.
Un jour, elle avait aperçu un tableau. Un enfant, pleurant devant la beauté d'une fleur. Elle avait souri, rêvant aux couleurs et à la douceur de ses pétales. Cependant, après un court instant, elle avait senti ses propres couleurs se déployer. Alors, elle s'était éloignée du tableau, afin de retrouver les teintes noires et blanches qui la définissaient.
Un soir, après avoir décidé de marcher un peu le long du fleuve traversant sa ville, elle avait aperçu un nouveau tableau. Deux jeunes âmes qui installaient des guirlandes de lumières tout en riant et en s'aimant. Elle avait souri devant l'éclat des lumières qui se reflétait dans ses yeux. Cependant, après un court instant, elle avait senti sa propre lumière éclore au creux de son cœur. Alors, elle avait détourné le regard, et continué sa marche vide de sens, afin de retrouver l'obscurité qui l'habitait.
Une nuit, agacée par le sommeil qui lui échappait chaque fois qu'elle tentait de lui tendre la main, elle s'était levée et dirigée vers sa salle de bains. Lorsque qu'elle avait levé ses yeux, cherchant sa calcite bleue qu'elle avait l'habitude d'utiliser lorsque le sommeil refusait son étreinte, ses lèvres avaient laissé échapper un souffle de surprise.
Devant elle, se trouvait le tableau le plus morose, le plus fade qu'elle n'avait jamais vu. Les couleurs s'étaient éteintes, la lumière enfuie. Grisâtre était le mot. Pas le gris d'un ciel mélancolique, ni le gris d'un crayon porteur de création. Non, grisâtre. Ce tableau délabré et abandonné, c'était elle, fixant le miroir tandis que sa calcite bleue l'attendait toujours patiemment dans le placard à sa gauche. Il lui suffisait d'ouvrir la petite porte. C'est ce qu'elle fit. Portant ses yeux sur la pierre, sa couleur s'imprégna dans son iris. Bleu. Voilà ce qu'il lui fallait. Du bleu. Ou peut-être du jaune, ou bien du rose. Encore mieux, du vert ! Non, du violet !
Elle avait souri, le genre de sourire qui traduisait le cœur. Pour la première fois depuis des années, elle ne voulait plus détourner son regard des pigments qu'elle avait tant repoussés. Elle revoyait ses couleurs d'autrefois. Comme elles étaient belles ! Elles étaient lumineuses, rassurantes, comme une étreinte inattendue de quelqu'un auquel on n'avait jamais osé dire « Je t'aime », comme la sensation des vieilles pages d'un livre qui avait forgé notre existence, comme l'écoute d'une chanson oubliée qui nous avait tant aidée par le passé. Enfin, elle vivait.
Assise sur un banc, balançant ses pieds vêtus de ces bottes brunes dont elle ne se sépare jamais, elle brille. Les passants ne peuvent s'empêcher de remarquer le déploiement de ses couleurs, l'éclat de sa lumière. Ils ne se doutent pas des combats qu'elle avait endurés, des batailles qu'elle avait perdues, des blessures qu'elle avait subies. Elle s'est affrontée durant tant d'années, rejetant les émotions imprévisibles, heureuses ou malheureuses, qui menaçaient de faire surface. Elle avait eu si peur d'être aveuglée par leur lumière, envahie par leurs couleurs.
Aujourd'hui, elle accepte enfin de rire, de pleurer, de courir, de chanter, de danser, de crier, de rêver, d'être si submergée par son cœur et son esprit que respirer lui est impossible pendant quelques instants. Elle est si fière car enfin, après tant de luttes, elle est devenue ce que le destin lui avait réservé :
une œuvre d'art.
musique ~ Light, Sleeping at last
VOUS LISEZ
paint me a story
RandomNous avons tous en tête des images, des sons ou encore des histoires. Certains occupent nos pensées depuis des années. D'autres viennent d'apparaître, et refusent de nous quitter ne serait-ce qu'un moment. Ainsi, une question m'est venue : pourquoi...