La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.
Rumeur de lagalère aux flancs lavés par l'onde,
Bruits des villes, pitiéde la sœur pour la sœur,
Passion des amants jeunes et beaux,douceur,
Des vieux époux usés ensemble par la vie,
Fanfarede la plaine émaillée et ravie,
Mots échangés le soir sur lesseuils fraternels,
Sombre tressaillements des chênes éternels,
Vous êtes l'harmonie et la musique même !
Vous êtes lessoupirs qui font le chant suprême !
Pour notre âme, les jours,la vie et les saisons,
Les songes de nos cœurs, les plis deshorizons,
L'aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,
Flottent dans un réseau de vagues mélodies ;
Une voix dansles champs nous parle, une autre voix
Dit à l'homme autre choseet chante dans les bois.
Par moment, un troupeau bêle, unecloche tinte.
Quand par l'ombre, la nuit, la colline estatteinte,
De toutes parts on voit danser et resplendir,
Dansle ciel étoilé du zénith au nadir,
Dans la voix des oiseaux,dans le cri des cigales,
Le groupe éblouissant des notesinégales.
Toujours avec notre âme un doux bruit s'accoupla ;
La nature nous dit : « Chante ! » et c'est pour cela
Qu'unstatuaire ancien sculpta sur cette pierre
Un pâtre sur sa flûteabaissant sa paupière.Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées
Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs
Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales
Siciliennes, ni les pompes aurorales,
Ni la solennité dolente des couchants.
L'amour est mort entre tes bras
Te souviens-tu de sa rencontre
Il est mort tu le referas
Il s'en revient à ta rencontre
Par les soirs bleus d'été, j'irais dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Deux Pigeons s'aimaient d'amour tendre. L'un d'eux s'ennuyant au logis Fut assez fou pour entreprendre Un voyage en lointain pays. L'autre lui dit : Qu'allez-vous faire? Voulez-vous quitter votre frère ? L'absence est le plus grand des maux : Non pas pour vous, cruel. Au moins que les travaux, Les dangers, les soins du voyage, Changent un peu votre courage. (1) Encore si la saison s'avançait davantage ! Attendez les zéphyrs. Qui vous presse ? Un Corbeau (2) Tout à l'heure annonçait malheur à quelque Oiseau. Je ne songerai (3) plus que rencontre funeste, Que Faucons, que réseaux (4). Hélas, dirai-je, il pleut Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut, Bon soupé, bon gîte, et le reste ? Ce discours ébranla le cœur De notre imprudent voyageur ; Mais le désir de voir et l'humeur inquiète L'emportèrent enfin. Il dit : Ne pleurez point : Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite ; Je reviendrai dans peu conter de point en point Mes aventures à mon frère. Je le désennuierai : quiconque ne voit guère N'a guère à dire aussi(5). Mon voyage dépeint (6) Vous sera d'un plaisir extrême. Je dirai : J'étais là ; telle chose m'advint (7) ; Vous y croirez être vous-même. A ces mots en pleurant ils se dirent adieu. Le voyageur s'éloigne ; et voilà qu'un nuage L'oblige de chercher retraite en quelque lieu. Un seul arbre s'offrit, tel encore que l'orage Maltraita le Pigeon en dépit du feuillage. L'air devenu serein, il part tout morfondu, Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie, Dans un champ à l'écart voit du blé répandu, Voit un Pigeon auprès : cela lui donne envie : Il y vole, il est pris : ce blé couvrait d'un las (8 )
Les menteurs et traîtres appas. Le las était usé : si bien que de son aile, De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin. Quelque plume y périt : et le pis du destin Fut qu'un certain vautour à la serre cruelle, Vit notre malheureux qui, traînant la ficelle Et les morceaux du las qui l'avaient attrapé, Semblait un forçat échappé. Le Vautour s'en allait le lier(9), quand des nues Fond à son tour un aigle aux ailes étendues. Le Pigeon profita du conflit des voleurs, S'envola, s'abattit auprès d'une masure, Crut, pour ce coup, que ses malheurs Finiraient par cette aventure ; Mais un fripon d'enfant, cet âge est sans pitié Prit sa fronde, et, du coup, tua plus d'à moitié La Volatile (10) malheureuse, Qui, maudissant sa curiosité, Traînant l'aile et tirant le pié, Demi-morte et demi-boiteuse, Droit au logis s'en retourna : Que bien, que mal elle arriva Sans autre aventure fâcheuse. Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines. Amants, heureux amants , voulez-vous voyager? Que ce soit aux rives prochaines ; Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau ; Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. J'ai quelquefois(11) aimé : je n'aurais pas alors Contre le Louvre et ses trésors, Contre le firmament et sa voûte céleste, Changé les bois, changé les lieux Honorés par les pas, éclairés par les yeux De l'aimable et jeune bergère Pour qui, sous le fils de Cythère (12), Je servis, engagé par mes premiers serments. Hélas! Quand reviendront de semblables moments? Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète? Ah! si mon cœur osait encore se renflammer! Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête? Ai-je passé le temps d'aimer?(13)Les sources de cette fable sont dans le "Livre des Lumières" de Pilpay et reprennent en les concentrant, les mésaventures du pigeon volage "l'Aimé". La Fontaine y ajoute un commentaire personnel
Au XVIIème, on ne distingue pas toujours pigeons de colombes. Leur rôle est important dans la poésie galante. Mme de Sévigné écrit
"la tourterelle Sablière" lorsqu"elle évoque les amours de Mme de La Sablière avec La Fare, dans sa correspondance avec sa fille.
Ici, les 2 pigeons sont des amis "Voulez-vous quitter votre frère ?" .
(1) que les peines, les tracas, les dangers changent votre cœur
(2) attendez le printemps, qu'est-ce qui vous presse?
(3) je ne verrai plus en rêve (songe) que...
(4) filet
(5) non plus
(6) le voyage que je vous décrirai
(7) m'arriva
(8 ) ce piège doit être la reginglette, évoquée dans la fable "l'hirondelle et les petits oiseaux" et doit être un collet, monté au bout d'une branchette qui fait ressort, et en se détendant, en reginglant, serre le lacet. Apparemment, ce mot est un mot de Château-Thierry, non connu des oiseliers de Paris (d'après Richelet)
(9) le maintenir dans ses serres
(10) se dit en général de tous les oiseaux (Furetière)
(11) une fois : sens archaïque
(12) le fils de Cythère est l'Amour. Cythère désigne parfois l'île, parfois la déesse Vénus
(13) La Fontaine publie cette fable à 68 ans
Illustration de Gélibert
http://www.la-fontaine-ch-thierry.net/deuxpig.htm
![](https://img.wattpad.com/cover/40116196-288-k926984.jpg)
VOUS LISEZ
Mélange; Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Ronsard
PoesiaVoilà quatre poètes réunis, éparpillés, mélangés à ma guise. (ne pas tenir compte de la couverture)