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Mes yeux s'ouvraient légèrement mais se refermaient à cause de la luminosité. Je mis un moment à m'adapter à la lumière et quand je parvins enfin à voir clair, je regardais l'heure.

 Et je jurai. Je croyais avoir somnolé dix minutes maximum depuis la sonnerie de mon réveil, mais une demi-heure s'était finalement écoulée. Oh non oh non, pensais-je, je ne pouvais pas encore être en retard ! Malgré toute l'affection que me porte le concierge, je crois que je vais bien finir par être collée. Je sautai dans un vieux jean troué, enfilai un pull, attrapai mon sac et me brossai les dents, le tout en même temps. J'avais encore des améliorations à faire en terme d'efficacité puisque je m'emmêlais dans mon pull et la tâchai avec mon dentifrice, ce qui fit je du le changer. J'attrapai une barre de céréale dans le placard de la cuisine, situé à quatre mètre de mon lit et descendai les quatre étages qui me séparaient de la rue en courant. Alors que j'arrivai sur le dernier palier je croisais M. Martin qui sortait de chez lui, un voisin plutôt sympa qui me lança : 

- Mademoiselle Thomas, les chaussures sont en option aujourd'hui  ? 

La surprise stoppa nettement mon élan tandis que je baissais les yeux vers... mes chaussettes rayées. Oh non... Je jurai et remerciai d'un mouvement de tête mon voisin qui essayait de contenir son amusement pour ne pas me froisser. Je pris la direction inverse et gravit les étages avec mauvaise humeur. Une fois mes Reebok attrapées et enfilées, je fermai la porte de mon minuscule appart et me dirigeai enfin d'une démarche résolue et soutenue vers le lycée situé à quelques rues. 

J'arrivai quelques minutes en retard et le gardien, devant mon visage rougis et mon souffle saccadé, eu sans doute pitié de moi. En effet, alors que j'ouvrai la bouche pour me lancer dans des explications confuses et pas vraiment recevables, il me fit un signe de tête et me laissa passer. Je ne me fis pas prier et pénétrai l'enceinte du lycée en brique rose. 

Je n'étais visiblement pas la seule à ne pas être en avance ce matin ; alors que je saluai mes camarades d'infortune, Mme Lou, notre prof de maths arriva au pas de course. Elle était apparemment empressée de nous rendre nos DS au plus grand mécontentement de la joyeuse assemblée. 

Nous prenions place derrière nos pupitres tandis qu'elle distribuai les copies. Elle me rendit la mienne en dernier, avec un petit sourire. J'avais eu 19/20. Ce n'était pas la première fois mais ça fait toujours plaisir. Je suis très perfectionniste (sauf au niveau de la ponctualité), mais surtout, j'aime les maths. Ils ne me déçoivent jamais, ils sont prévisibles et infaillibles, ce que les humains ne sont pas. Charlotte, ma voisine et aussi grande amie, souffla et je me détournai de mes pensées pour regarder sa note qui n'était pas fameuse. Je lui lançai un regard compatissant et recouvrait ma note discrètement.

"- On va boire un verre ce soir ? Entre mes notes de merde, Louis qui se ramène avec un suçon et mes parents qui sont toujours sur mon dos, je suis à la limite du burn-out. Tandis qu'elle me parlait elle écarquilla les yeux et ajouta rapidement ; je suis désolée je voulais pas... 

- T'inquiète c'est bon, et oui si tu veux, on n'a qu'à aller à la Daurade se poser un peu." Je lui répondais avant de me retourner vers le tableau pour ne pas qu'elle voit ma grimace. 

J'aimerais bien avoir mes parents sur le dos. Mais je ne lui en tenais pas rigueur. Cela fait longtemps qu'ils sont partis. A vrai dire, j'ai presque oublié le son de leur voix. Mais c'est ni le moment ni l'endroit d'être triste, alors je clignais plusieurs fois des yeux et  me plongeais dans mes équations de droite. 

A midi, je mangeais thaïlandais au jardin des plantes avec les amis de ma classe. C'était le retour des beaux jours. Les filles, nous étions allongées dans l'herbe avec l'espoir de prendre des couleurs. Nos corps formés un drôle de tissage humain propice aux confidences. Il ne fallut pas longtemps avant que l'une d'entre nous commença à parler de ses états d'ames, de ce qu'untel lui avait dit etc...et que les autres nous approuvions ce qu'elle disait. Elle fut stoppée par le cri de Julien qui venait vraisemblablement de se faire jeter dans la fontaine par les garçons. On se releva mortes de rire devant ce spectacle cocu. Alors qu'un Julien dégoulinant émergeai, il leva le bras en scandant d'une voix dramatique et d'un air on ne peut plus sérieux une partie du monologue de Rodrigue dans Le Cid  : 

"- Ô cruel souvenir de ma gloire passée !

Oeuvre de tant de jours en un jour effacée ! 

Nouvelle dignité fatale à mon bonheur ! 

Précipice élevé d'où tombe mon honneur !, il marqua un temps de pause et reprit de plus belle, 

Et mon bras vous dit d'aller vous faire foutre bande d'enfoirés !"

La chute de sa réplique et le comique de ses gestes et de sa situation provoqua notre hilarité générale ainsi que celle des passants intrigués. 

- S'il tient tant à faire l'érudit il devrait utiliser des insultes plus soft parce que là, il aurait carrément heurter la sensibilité de l'audience du XVIIe, je murmurais avec un demi sourire, 

- Je ne crois pas que Corneille lui en tienne rigueur, me glissa Elisa avec un clin d'oeil. 

Je jetai un coup d'oeil au garçons toujours hilare quand une silhouette attira mon attention. Il était assis à l'ombre d'un peuplier. Une casquette était vissée sur sa tête et au lieu de regarder l'adolescent dans la fontaine comme tous les gens qui nous entouraient, il griffonnaient avec empressement sur un petit carnet. Je me demandais bien ce qu'il pouvait écrire, et ne parvins pas à apercevoir son visage. Mais il était si concentré qu'on aurait dit qu'il était enfermé dans une bulle. Je me suis dis que c'est à peu près ce à quoi je dois ressembler quand je fais des maths. 

Mon observation fut interrompue par des gouttelettes d'eau qui tombaient sur le sommet de mon crâne. Je levai le bras pour apercevoir Julien en contre-jour juste au dessus de moi. Alors qu'il se baissait pour me tremper, je me levai en criant et fuyai en gloussant tandis qu'il me courrai après. 

Alors que nous terminions notre course effrénée - enfin plutôt sa châsse et ma fuite - je remarquai que nous étions à quelque pas de l'homme que j'avais aperçu un peu plus tôt. Il leva la tête vers moi comme si j'avais perturbé son havre de reflexion par mon observation indiscrète. Je fus marquée par son regard noir et son air fermé. Il était plus jeune que ce que je pensais mais ces traits étaient durs, comme abîmés. Alors qu'il me fixait sans bouger je me trouvais paralysée par la vue de cet être. Il me semblait inhumain ; il paraissait tellement inadapté au cadre. Il était intrus dans cet espace familier. Je me sentis bousculée, comme si j'étais mise à nu par ses trous noirs qui flottent entre les paupières. Alors que nos regards se joutaient, Julien qui n'avait rien remarqué de notre échange muet, passa son bras autour de mes épaule pour m'entrainer vers les autres. Je virevoltai et avançai avec lui en direction du groupe sans sentir son bras trempé contre mon épaule nue ni démêler le sens des paroles qu'il m'adressait tant j'étais déstabilisée par cette rencontre étrange. 



Nos étoiles vagabondesWhere stories live. Discover now