Cinq Octaves

3

Cet épisode dans l'ascenseur scella néanmoins le début d'une amitié. Et notre duo ne mit pas longtemps à se transformer en trio avec l'arrivée d'Abby. Puis suivit Cassiopée, et finalement Basile.

La carpe, la tapette, la kamikaze, la folle et le junkie. Nous étions les plus mal assortis, les plus différents. Mais nous étions cinq octaves, et nous avons créé la plus belle partition de tous les temps. Sûrement dissonante, au manque d'harmonie évidente, mais néanmoins réelle.

J'étais la seule qui ne prenant aucun traitement. Car le silence n'a pas de remède.

Marius soignait ses phobies, Abby ses pensées suicidaires, Cassiopée sa schizophrénie, Basile son manque et eux tous guérissaient ma solitude.

Nous avons continué de vivre dans cet immeuble, chez nos parents respectifs, à nous réunir chaque soir sur le toit métallique pour fixer le ciel étoilé. Parce que l'espace était hors de portée et nous rêvions de l'atteindre un jour prochain, ensemble. Mais la pollution de la métropole qui nous servait de bagne nous empêchait de plonger complètement dans cet étendu céleste. Et nous en voulions plus. Alors nous nous le sommes promis: un jour, nous partirions. Unis. Loin. Cette idée utopique resta en suspens dans nos esprits. Sonnant plus comme un espoir que comme une vision d'avenir réaliste.

Les réunions nocturnes continuèrent, longtemps. Le coucher du soleil était l'heure de notre rendez-vous. Nous ne fonctionnions plus selon un dictat humain, mais selon le bon vouloir d'Hélios.
Et nous étions toujours là.

Malgré la chaleur écrasante et le métal brûlant nous empêchant de nous assoir.

Malgré la pluie torrentielle, le risque de glisser et de se briser la nuque.

Malgré la neige et le gèle qui frigorifiait chacun de nos membres.

Nous étions là.

Jusqu'au jour où Abby manqua à l'appel.

Tentative de suicide.

Milkshake de médocs et d'alcool.

Lavage d'estomac en urgence.

Prise en charge psychologique.

Elle avait échoué.

Encore une fois.

Mais de peu.

Et c'était la fois de trop.

L'élément déclencheur de notre décision: lorsqu'elle reviendrait, on partirait.
Voir les étoiles.