Les antidépresseurs font partie de la famille des psychotropes, donc les plus dangereux en cas de surdosage. Elle a tenté de se buter avec ce qui était censé la soigner. J'aurais aimé cracher au visage de ces gens qui disaient pouvoir l'aider. Donner un sachet d'héroïne à Basile aurait eu le même effet.

On était les seuls à pouvoir la sauver, et on le savait.

Basile n'avait pas le permis, mais il savait conduire, et ça nous a suffi.

N'importe qui aurait réfléchi aux risques, aux conséquences de ce que nous nous apprêtions à faire. Vol de voiture, conduite sans permis, fugue; dont celle de personnes suivies psychiatriquement de très près... La liste des délits était longue.

Mais nous n'étions pas n'importe qui, et rien d'autre n'avait d'importance. Rien d'autre ne comptait que cette putain de Grande Ours.

Alors nous sommes partis en pleine nuit, et nous avons roulé droit devant nous. Toujours devant, au hasard, jusqu'à manquer d'essence et atteindre un endroit désert. Une plaine qui semblait vierge de toute présence humaine. Nous nous sommes assis dans l'herbe, les uns près des autres, en cercle, et nous avons regardé le ciel. Il était vivant, il était réel, il était à nous.

A un moment, Cassiopée leva précipitamment le doigt, pointant ce qui me semblait n'être rien d'autre que des étoiles semblables à toutes les autres, et elle se mit à parler, trop rapidement pour que je puisse lire sur ses lèvres. Finalement elle finit par se taire et Marius prit le relais changeant de toute évidence de sujet, mais cette fois il me lança un regard et prit soin d'articuler consciencieusement chacune des syllabes prononcées.

-Quel est votre plus gros regret... de ne pas être normal? Si vous pouviez changer quelque chose?

Cassiopée suivit son exemple, essayant du mieux qu'elle le pouvait de me faire participer à cet échange :

-J'aimerais que les gens ne me regardent pas comme si j'étais folle.

-Je suis d'accord. Leurs yeux... Je les déteste. Nous sommes des bêtes de foires pour eux. Ils nous observent et se rassurent en se disant « merci seigneur, mon enfant est normal lui ». Ils ont pitié pour nos parents ; cracha Abby.

Je n'ai jamais été blessée par un regard. Pour la simple raison que je ne les vois pas. Je n'entends pas les murmures et je ferme les paupières. Je ne veux pas être normale, parce qu'alors je deviendrais ces yeux qui jugent, ces voix qui chuchotent, ces pensées qui se rassurent. J'aimerais juste une simple chose. Une seule et unique chose.

-Qu'est-ce que ça peut foutre ce qu'on aimerait. Cela n'arrivera pas de toute façon! conclue Basile d'un ton qui, j'imagine, se voulait détaché. Mais les mimiques invisibles pour la plus part des gens ne m'échappent pas, et il n'a pu me cacher les ressentiments et la colère camouflé par un haussement d'épaule.

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