Prélude

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La pluie battait à tout rompre. De part et d'autres, de la roche tombait au creux du fossé créée par la main des hommes. Des profondes flaques d'eau jonchaient le sol, semblables à des sables mouvants dans cette terre friable, bien trop friable pour y construire un barrage. Elle avait essayé de les prévenir, mais personne ne l'avait écoutée. Et maintenant elle était là, devant cette paroi de béton qui allait d'une minute à l'autre s'écrouler et libérer la puissance bouillonnante qu'elle retenait avec difficulté.

Elle avança jusqu'à la paroi déjà strillée de profondes fissures, où se trouvait une cavité précédemment formée par l'érosion rapide de la vallée, et s'effondra. La respiration haletante, elle regarda sa main à la fine peau blanche, éraflée par les cailloux pointus,où la boue se mélangeait au sang. Ses longs cheveux noirs et détrempés collaient le long de sa nuque, de son cou et ses joues.Elle tenta de se lever, mais en vain. Au dehors, le tremblement du tonnerre se fit entendre, et elle frissonna. Au même moment, il lui semblait avoir entendu un autre son, plus fin, presque inaudible, comme une pluie de grain de riz qui touche le sol... Si des paillettes pouvaient produire un son lorsqu'elles étaient lancées,ce serait celui-là. Elle ne s'était pas trompée, car bientôt des pas précipités se rapprochaient d'elle. Elle aurait voulu fuir, se cacher, mais elle n'en avait plus la force. Sa panique fut cependant de courte durée, car elle sentit malgré le puissant parfum de la pluie, celui moins commun du chèvrefeuille. Une odeur qu'elle connaissait fort bien.


-Va t'en, dit elle faiblement.

Elle n'avait pas besoin de hurler, il l'entendrait.

-Pas question que je te laisse ici, répondit une voix d'homme.

-Il va bientôt revenir, je t'en prie, sauve toi.

Sa voix avait beau être faible, une détermination implacable s'en échappait.

-Tu ne peux plus rien faire, viens avec moi.

La voix de l'homme s'était rapprochée, il était maintenant accroupi vers elle, et une bouffée de chèvrefeuille vint à ses narines, ce qui la réconforta et lui donna du courage.

-Au contraire. Tout cela est de ma faute, et je vais faire ce que je peux pour endiguer l'inondation. Le problème vient de la terre, et non de l'eau. Va t'en pendant qu'il en est encore temps.

Comme il ne bougeait pas, elle soupira, et leva la tête vers l'homme, dont elle ne distinguait pas grand chose dans la pénombre si ce n'est le chèvrefeuille et sa main dans la sienne, une main grande et chaude, à la peau durcie par les années. Malgré ses cheveux dans les yeux,elle trouva un reflet océan auquel s'accrocher.

-Si tu essayes de me déplacer, nous allons mourir. S'il te plaît, laisse moi essayer. C'est ma dernière chance.

-Mais enfin tu ne vas quand même pas abandonner pour ça ! S'exclama l'homme.

-Je n'abandonne pas, répliqua t-elle dans un sourire triste, au contraire, je combats.

La main de l'homme trembla, de peur ou de rage, elle ne saurait le dire. Il se détacha cependant, et dans ce même bruit de paillettes, il disparut.

Elle se mit alors à genoux, les mains posées sur le sol boueux, et ferma les yeux.


Quelques secondes plus tard, le barrage céda.

La DynastieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant