Zillia et les rêves sombres

Désorientation

Les deux enfants étaient à nouveau à bout de souffle dans la forêt. Ils avaient pris soin de ne pas courir dans la direction de l'orphelinat, ce qui aurait été assez bète, mais ils étaient maintenant perdus, et très fatigués. Une nouvelle pause s'imposait, à la lumière de la lune. Les enfants étaient bien heureux de constater que les golems ne les avaient pas suivi jusque là.

- Bon, on n'a toujours pas d'argent avec tout ça..., soupira Enzo. Zillia ne savait pas trop comment aborder le sujet.

- Et bien euh... j'en ai pris un peu, quand même.

Enzo affichait une expression choquée.

- Tu as pillé un temple! s'ecria-t-il.

-Quoi?! s'étrangla la jeune fille, c'est toi qui a crocheté la serrure! Et puis... je ne l'ai pas pillé, j'ai pioché dans les objets confisqués... je ne sais même pas pourquoi un temple confisquerait de l'argent ou encore ça...

Zillia montra à son jeune interlocuteur l'épée au pommeau vert qu'elle avait récupéré. Toutefois lorsqu'il voulut la toucher, Zillia tira l'épée vers elle par réflexe. Elle sentait que quelque chose clochait avec cette arme, et la faisait agir bizarrement. Mais elle ne pouvait pas s'en débarrasser, ni laisser qui que ce soit d'autre qu'elle la toucher. C'était son épée à elle maintenant...

Zillia ferma les yeux et essaya de mettre fin à ce train de pensée. Lorsqu'elle les rouvrit, Enzo la dévisageait en silence.

- Oh euh... désolée! Ce n'est pas que je ne te fais pas confiance mais..., elle peinait à trouver ses mots, tu es un peu jeune et je ne voudrais pas que tu te coupes!

Enzo exhiba une mine boudeuse.

- Tu ne me fais pas confiance...

- Mais non! Mais non! Je te fais confiance mais...

- J'allais pas la sortir du fourreau!

Le petit s'emportait, clairement blessé par les explications de la jeune fille.

- Écoute, en fait... je crois que l'épée est maudite...

- Menteuse.

- Je ne mens pas! Avant même de la voir, je la voulais... et depuis que je l'ai, je ne veux plus, ne peux plus m'en séparer... Il y a un problème avec...

Elle dégainait alors qu'elle parlait, et se mit à admirer la lame, faite d'une matière noire inconnue qui reflétait les rayons de lune.

- Elle est si belle... Elle est à moi, elle chuchotait à présent, fixant la lame comme si c'était la seule chose dans ce monde.

- Zillia, tu me fais peur là...

La jeune fille fut ramenée à la réalité par la voix de son ami. Elle eut un rire gêné, s'excusa et rangea l'épée dans son sac.

- Quand je tiens cette épée, j'ai l'impression que c'est elle qui agit et pas moi... comme si au lieu de la manier, c'était elle qui me maniait...

- C'est ça, dit le garçon qui boudait toujours.

- Enfin... comment on va se sortir de là, maintenant? On est entourés d'arbres qui se ressemblent tous! Tu as une idée de quelle direction prendre?

Enzo ne répondait pas.

- Enzo?

Il grogna et jeta une carte au visage de Zillia. Elle ne pouvait pas trop lui en vouloir, elle était maladroite avec les mots, et puis il avait quand même pensé à prendre une carte! Elle même n'en avait pas.

- Je vois, donc le port le plus proche est à l'Est, s'exclama Zillia, triomphante, Il faut donc aller à l'Est!

- Comme si tu savais où c'est, marmona Enzo. Il marquait un point.

- Eh bien, il suffit d'avoir une boussole!

Ce fut le silence alors qu'Enzo la fixait.

Il semblait évident à Zillia qu'Enzo n'avait pas pensé à la boussole. Elle ne fit pas de commentaire là dessus. Il avait été bien plus prévoyant qu'elle... mais en même temps, elle ne pensait pas que cette escapade nocturne deviendrait aussi sérieuse.

- On va se contenter d'aller dans la direction opposée au temple alors... avec un peu de chance, ça sera à l'Est, et au pire on tombera sur la côte...

Cela avait été plus difficile que prévu. En même temps, ils auraient du s'y attendre: depuis qu'ils se connaissaient, Enzo et Zillia avaient perdu toutes les courses d'orientation. Ils savaient à peine lire une carte, mais encore Enzo avait l'excuse de son jeune âge. Zillia évaluait toujours très mal les distances, malgré ses quatorze ans.

Ils finirent par arriver à un port au petit matin, totalement exténués. Zillia se rendit compte qu'ils étaient à l'autre bout de l'île par rapport à ce qu'elle pensait.

- Je croyais qu'on allait à Port-Galia? demanda Enzo.

- Port-Galia est bien trop proche de chez nous! Mon intention était de nous emmener à Port-Metria depuis le début! On ne nous cherchera jamais ici!

- Tu nous a perdus en fait...

- Mais pas du tout! Regarde, on est dans un port!

Enzo leva les yeux au ciel. Zillia ne voulait pas admettre qu'il avait raison. Il ne restait qu'une chose à faire.

- Tu veux que je nous achète des croissants?

Les yeux d'Enzo brillaient, il s'était laissé acheter par la promesse d'un bon petit déjeuner. Il serait probablement moins de mauvaise humeur l'estomac bien rempli. Zillia aussi commençait à avoir très faim... et sommeil. Mais ils se reposeraient une fois sur le continent. L'île était trop petite pour y réussir une fugue.