Les Ténèbres

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Zillia acheta les croissants dans une boulangerie du coin. Elle n'avait en réalité pas volé grand chose et il restait déjà à peine de quoi payer le bateau qui faisait la navette entre l'île et le continent, à quelques lieues de là. Enzo et elle s'étaient mis d'accord pour prétendre rejoindre leur oncle Fernand-Nestor sur le continent en cas de pépin. Ils espéraient que la nouvelle de leur fugue n'ait pas atteint le port, et qu'ils pourraient voyager tranquilles.

Peut-être était-ce à cause du manque d'orientation total de Zillia, mais au moins ils avaient pu monter sur le bateau sans embûches. La traversée fut plutôt calme, même.

Ce n'est qu'une fois arrivés à destination qu'ils virent des gens, probablement la police locale, entrain de contrôler les passagers. Zillia et Enzo avaient bien leurs tickets de bateau, mais si ça se trouve, ils étaient déjà recherchés? Après une fugue et un pillage de temple, il y avait de quoi après tout! Il allait falloir se faufiler hors de la vue des agents.

C'est ainsi que Zillia glissa sous une rampe et entraîna Enzo sur le côté, pour échapper à l'obstacle potentiel. Les deux enfants se cachèrent derrière des caisses, le temps de s'assurer qu'on ne faisait pas attention à eux, puis ils se lancèrent dans une dernière course, non pas vers la ville mais vers les bois des environs.

Cette fois ils étaient morts de fatigue, ils s'écroulèrent tous deux sur le sol, au milieu de la forêt. Tous deux se laissèrent aller à leurs songes.

Quand Zillia ouvrit les yeux à nouveau, elle ne pouvait rien voir. C'était l'obscurité. Le vide. Les ombres qui s'étendaient à l'infini encore une fois.

Machinalement, elle marcha droit devant elle, vers la femme qui l'attendait. La femme de la nuit.

Sa mère.

- Zillia... qu'as tu dans ta main? demanda la femme aux cheveux noirs.

Zillia ne comprenait pas de quoi sa mère parlait, avant de regarder sa main. Elle tenait fermement l'épée qu'elle avait... trouvée, la nuit précédente, dans le temple de la Terre.

- C'est à moi, répondit la jeune fille, par automatisme.

Sa mère secoua la tête, il émanait d'elle une profonde tristesse, voire de la déception.

- Ma fille... ce que tu tiens là... cela appartient aux Ténèbres. C'est une lame sombre... Tu ne dois pas te laisser submerger par ces forces!

Zillia cligna des yeux et fixa la lame, sortant légèrement la lame du fourreau. Elle était aussi noire que le vide absolu autour des deux femmes, et pourtant elle luisait dans l'obscurité. Elle étincelait d'un profond vert sombre.

- Je ne peux pas m'en séparer..., soupira Zillia, Et pourtant elle est mauvaise... je le sais.

- Peut-être que tu pourras la garder, les Ténèbres sont ton ennemi, mais tu auras besoin d'armes puissantes pour me sauver. Tu n'as plus qu'à mater les caprices de cette lame... Apprends à la dompter, apprends à maîtriser les Ténèbres, et peut-être... peut-être que tu pourras le défaire lui... là bas, dans le temple... Et me libérer...

Zillia n'en eut pas le temps d'en apprendre plus. Elle s'était réveillée de sa sieste lorsqu'elle avait entendu un bruit à côté d'elle.

Ce n'était qu'un écureuil. La jeune fille soupira et vit qu'Enzo dormait difficilement, en face d'elle et adossé à un arbre. Elle referma les yeux, mais elle ne parvint pas à revoir la femme de la nuit.

Que cela signifiait-il? Elle ne voyait pas comment elle pourrait maîtriser l'épée un jour, c'était un bout de ferraille, enfin... elle n'était même pas sure de la matière utilisée. Mais quand même, dompter l'épée? Ce n'était pas un animal! On ne dompte pas un objet!

Alors qu'elle essayait de s'endormir à nouveau en pensant à tout cela, Zillia commença à faire un autre rêve. Un rêve similaire, mais différent.

Elle retrouvait la salle sombre, l'obscurité comme toujours. Mais cette fois elle n'avait pas à marcher pour trouver sa mère. Sa mère n'était pas là.

Devant elle se trouvait un espère d'énorme lézard. Était-ce un dragon? De la fumée verdatre sortait de ses narines et de sa bouche, d'où dépassait une langue noire, fourchue. Les yeux d'or du dragon la dévisageaient.

- Zillia, lui dit-il d'une voix rauque, Je m'excuse de t'apparaître ainsi, mais je devais te parler...

Zillia déglutit, ce dragon lui faisait horriblement peur. Elle serrait l'épée de toutes ses forces, prête à en découdre au moindre mouvement du dragon, mais elle savait n'avoir aucune chance contre lui.

- Je vois que tu as trouvé une de mes lames, je t'en fais cadeau. Garde la donc.

Les Ténèbres.

Ce nom revenait à Zillia alors qu'elle entendait le dragon lui parler.

Ce dragon, c'était les Ténèbres mêmes. Ce n'était pas un concept abstrait, mais un être de chair et d'os qui se tenait devant elle! C'était de lui qu'elle devait libérer sa mère!

Elle voulut reculer, mais il n'y avait nulle part où aller. Les Ténèbres, ou du moins, le dragon éclata de rire.

- Oui. Je suis bien les Ténèbres. Tu n'as pas à me craindre, ma petite, je ne suis pas aussi terrible que ce que te dit ta mère. Pour ce qui est de l'épée, si elle t'a choisie, elle te protègera... mais saches qu'elle me préfèrera toujours à toi. Après tout, j'ai été son maître pendant de longues années.

- Je vais vous tuer et sauver ma mère!

Le dragon se contenta de la dévisager. Zillia tremblait, l'épée en main.

- Alors tu ne pourras jamais la sauver, et tu ne pourras même pas me tuer.

Il y eut un long silence tandis qu'ils restaient tous deux l'un en face de l'autre. Zillia essayait de regarder le dragon dans les yeux, sans frémir, mais elle brandissait son épée sans grande conviction. L'épée semblait lui indiquer de rejoindre le côté obscur, et affichait sa loyauté au maître. Zillia resistait tant bien que mal au contrôle que l'épée exerçait sur elle.

Le dragon soupira longuement.

- Je dois te laisser. Ta mère est coriace, je ne peux pas rester ici plus longtemps. J'espère ne pas avoir fait mauvaise impression...

- Dégage! hurla Zillia, que les contradictions entre ce qu'elle pensait et ce que l'épée lui dictait rendait furieuse.

- Je vois que ma visite se solde par un échec... mais garde à l'esprit que tu trouveras bien mieux à mes côtés qu'à ceux de ta mère...

Zillia et les rêves sombresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant