Chapitre 4: Et merde...

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     À l’arrière de l’ambulance, Damien serra Inès dans ses bras. Le corps de leur mère, dissimulé sous une couverture grise, reposait sur un un lit à moins d’un mètre d’eux. Il se sentait perdu, mais il s’efforçait de garder une certaine image devant sa petite sœur.
Le véhicule s’immobilisa devant l’hôpital. Damien regarda sa mère pour la dernière fois. Il réalisa avec amertume qu’il garderait d’elle le souvenir d’une masse informe illuminée par la lumière bleutée des
gyrophares.
      Il descendit de l’ambulance. Inès restait agrippée à sa manche, et rien au monde n’aurait pu lui faire lâcher prise. Elle avait cessé de pleurer, mais elle haletait comme un animal blessé.
Ils marchèrent comme des zombies jusqu’au guichet d’accueil.
Une infirmière les conduisit jusqu’à une salle d’examen où les attendait une jeune femme brune vêtue d’une blouse blanche.

— Je suis le docteur May. Vous devez être Damien et Inès.

Il caressa doucement l’épaule de sa sœur.

— Inès, peux-tu lâcher ton frère ? Il faut que nous parlions.

La petite fille resta sans réaction.

— On dirait qu’elle est sourde et muette, dit Damien.

— Elle est en état de choc. Je vais lui administrer un calmant, pour
la soulager un peu.

Le docteur May saisit une seringue sur un chariot puis releva la manche de Inès.

— Tiens-la, s’il te plaît.

Elle planta l’aiguille au creux de son bras. Aussitôt, la petite fille se détendit. Damien l’aida à s’allonger sur une couchette. La femme posa une couverture sur ses jambes.

— Merci, murmura Damien d’une voix étranglée.

— Tu as dit à l’ambulancier que tu avais du sang dans tes urines.

— Oui.

— Tu as reçu un coup à l’estomac ?

— Je me suis battu. C’est grave ?

— Tu saignes à l’intérieur. En principe, ce n’est pas plus grave qu’une coupure externe. Ça devrait passer tout seul. Reviens me voir si rien n’a changé d’ici demain soir.

— Qu’est-ce qu’on va faire de nous ?

— Une assistante sociale va contacter les membres de ta famille.

— Je n’ai personne. Ma grand-mère est morte l’année dernière et je ne sais même pas qui est mon père biologique.

Le lendemain matin, Damien se réveilla entre des draps qui empestaient le désinfectant. Il ignorait où il se trouvait. La dernière chose dont il se souvenait, c’était d’avoir avalé un somnifère avant de
monter à bord d’une voiture, la tête lourde.
Il avait dormi tout habillé. Ses baskets traînaient sur le sol. Inès dormait à ses côtés, dans un lit de métal identique à celui qu’il occupait. Elle suçait son pouce tout en serrant étroitement sont vieux doudou, une habitude abandonnée depuis sa petite enfance. Ce n’était pas bon signe. Il se leva, l’esprit confus et les mâchoires raides. Il avait une migraine épouvantable. Il fit coulisser une porte et découvrit un
cabinet de toilette. Il constata avec soulagement que sa vessie fonctionnait normalement. Il s’aspergea le visage. Il avait conscience qu’il aurait dû être anéanti par la mort de sa mère, mais il ne ressentait
absolument rien. Tout lui semblait irréel. Il avait l’impression de se regarder agir de l’extérieur, comme s’il était assis devant une télé.
Il écarta un rideau, jeta un coup d’œil par la fenêtre et aperçut des enfants qui couraient en tous sens. Sa mère l’avait fréquemment
menacé de l’envoyer en pension. A l’évidence, son vœu avait enfin été exaucé.
Au moment où il quitta la chambre, une alarme discrète retentit dans le couloir. Aussitôt, une jeune femme aux cheveux violets vint à sa rencontre.

— Bienvenue au centre Nebraska, Damien. Je m’appelle Rachel. Comment te sens-tu ?

Il haussa les épaules.

— Je suis vraiment désolée pour ce qui est arrivé à ta mère.

— Merci, mademoiselle.

Elle sourit.

— Ici, on me donne toutes sortes de surnoms grossiers, mais on ne m’appelle jamais mademoiselle.

— Excusez-moi.

— Je vais commencer par te faire visiter le centre. Ensuite, tu
prendras ton petit déjeuner. Est-ce que tu as faim ?

— Un peu.

— Je vais être franche. Ce centre est une vraie poubelle. Ce n’est pas l’endroit rêvé pour se reconstruire après le drame que tu as vécu, mais sache que toute l’équipe est là pour t’aider.

— Entendu.

— Voici notre piscine olympique.

Derrière une fenêtre, Damien aperçut une piscine où stagnait un mélange brunâtre d’eau de pluie et de mégots de cigarette. Il
esquissa un sourire. Rachel avait l’air sympa, même si elle servait sans doute le même sketch à tous les naufragés qui atterrissaient dans son établissement.

— Notre complexe sportif. Son accès est rigoureusement interdit aux pensionnaires qui n’ont pas fait leurs devoirs. Un jeu de fléchettes fixé à un mur jauni. Deux tables de billard aux tapis raccommodés avec du papier adhésif. Un porte-parapluies où étaient rangées des queues ébréchées.

— Les chambres sont au-dessus. Les vôtres au premier étage, celles des filles au second. Les baignoires et les douches sont à
l’entresol. On a souvent du mal à vous y traîner, vous, les garçons.

— J’ai une douche dans ma chambre.

— Tu n’y passeras qu’une nuit, Damien. Elle est réservée aux
nouveaux arrivants. D’autres pensionnaires vêtus d’uniformes scolaires étaient
rassemblés dans le réfectoire.

— Les couverts sont ici, les céréales et les jus de fruits là, les plats
chauds au self-service. Vas-y, fais comme chez toi.

— Super. Il se sentait mal à l’aise, intimidé de se trouver en présence d’inconnus.

— Rejoins-moi dans mon bureau quand tu auras terminé.

— Et ma sœur ?

— Tu pourras la voir dès qu’elle sera réveillée.

Damien se servit une assiette de Frosties et s’assit à une table inoccupée. Les autres pensionnaires l’ignorèrent. L’arrivée d’un
nouveau n’avait apparemment rien d’exceptionnel à leurs yeux.

— Bon… c'est la merde… soupira Damien

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