Damien frappa la bille blanche de toutes ses
forces. Le résultat lui importait peu. Il cherchait à se vider l’esprit. Il jouait depuis plusieurs heures lorsqu’un jeune homme d’une vingtaine d’années, un roux aux oreilles décollées, se présenta à lui.— Kevin Tran. Homme à tout faire. Ancien détenu.
Il gloussa avant d’ajouter.
— Je veux dire ancien pensionnaire, bien entendu.
— Salut, dit Damien, que cette entrée en matière n’avait pas rassuré.
— Nous devons passer chez toi pour prendre tes affaires.
Ils montèrent à bord d’un minibus garé sur le parking.
— Je suis au courant pour ta mère. Je sais à quel point c’est difficile.
Le véhicule s’engagea dans le trafic.
— Merci, Kevin. Comment tu as atterri dans ce centre ?
— Je suis arrivé à l’âge de quatorze ans, parce que mon père était en prison pour vol à main armée et que ma mère en a fait une dépression. Le jour de mes dix-sept ans, comme je m’entendais bien avec tout le personnel, ils m’ont offert ce boulot.
— Tu es resté pensionnaire pendant trois ans ?
— Il y a pire comme orphelinat. Mais surveille quand même tes affaires. Certains objets ont tendance à disparaître. Dès que possible, offre-toi un cadenas solide pour fermer ton casier. Garde la clef autour de ton cou. Ne l’enlève jamais, même pas pour dormir ou prendre une douche.
— Il y a des problèmes ? Ils sont comment les autres ?
— Oh, il y a bien quelques gros durs, mais tu as l’air de quelqu’un qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. Tâche de ne pas leur manquer de respect, et tout ira bien.
La maison était une véritable décharge publique. La plupart des objets de valeur avaient disparu. La télé, le lecteur CD, la box. Le téléphone fixe. Le micro-ondes.
— Qu’est-ce qui s’est passé ici ? s’étonna Kevin.
— Mon beau-père a tout embarqué. Je m’en doutais un peu. J’espère au moins qu’il n’a pas touché à mes affaires.
Il monta les escaliers menant à l’étage et pénétra dans sa chambre. Sa télé, son casque et son ordinateur s’étaient volatilisés.
— Je vais lui faire la peau, gronda-t-il.
D’un coup de pied, il ouvrit la porte de son placard. La PlayStation 4 et la plupart des autres objets auxquels il tenait avaient échappé au pillage. Kevin entra à son tour.
— Ta mère devait vraiment être riche, lâcha-t-il en considérant les matériaux électronique. Mais tu ne peux pas emporter tout ça.
— Prenons le maximum. Harvey a dit que la maison serait définitivement vidée vendredi.
Une idée s'illumina dans l’esprit de Damien. Il demanda à Kevin de commencer à rassembler ses vêtements dans des sacs-poubelles et se rendit dans la chambre de sa mère. Harvey avait emporté la télé portable et la boîte à bijoux. C’était sans importance, car il avait déjà subtilisé toutes les pièces de valeur des années auparavant.
Damien ouvrit la penderie et s’accroupit pour examiner le coffre-fort. Il savait qu’il contenait des milliers d'euro. Il remarqua des outils dispersés sur la moquette. Des entailles sur la porte blindée. Harvey avait vainement essayé de mettre la main sur le trésor, mais il n’était pas homme à
s’avouer vaincu et allait certainement revenir avec davantage d’équipement. Cependant, Damien savait que son beau-père n’avait aucune chance d’ouvrir le coffre. Les livreurs avaient dû s’y mettre à trois pour le monter à l’étage et il était équipé d’un cadran rotatif sophistiqué. Un jour, il avait surpris sa mère à genoux devant la penderie, un roman de Zola à la main, un ouvrage que ni lui ni Harvey n’auraient eu l’idée de feuilleter. A l’évidence, c’était un indice important, même si elle avait pu changer la combinaison depuis cet incident. Il devait essayer. C’était sa seule chance d’empêcher son beau-père de faire main basse sur l'argent. Une vingtaine de livres de poche étaient alignés sur une tablette, au-dessus du lit. Damien trouva celui qu’il cherchait et le feuilleta à la hâte.— Tout se passe bien, Damien ? cria Kevin depuis l’autre chambre.
Damien sursauta si violemment que le roman lui échappa des mains.
— Ça roule, répondit-il.
Le livre s’était ouvert de lui-même à une page souvent lue. Damien remarqua une suite de nombres griffonnés dans la marge. Pour la première fois depuis que sa semaine avait débuté, il avait le sentiment que la chance était de son côté. Il se rua vers le coffre et déplaça la flèche du cadran à cinq reprises :
262,118,320,145,077
La poignée refusa de tourner. A la pensée de voir l’oncle Harvey poser ses mains sur cet argent, il sentit la rage l’étouffer. Puis il remarqua un autocollant placé sur un flanc gauche du coffre. Un mode d’emploi. Il le parcourut avec difficulté dans la pénombre de la chambre.
(1) Composez le premier chiffre de la combinaison en tournant le cadran dans le sens horaire.
Damien n’avait pas imaginé que le fonctionnement du mécanisme dépendait du sens de rotation du cadran. Il plaça la flèche sur le premier nombre et poursuivit la lecture des instructions.
(2) Composez les quatre nombres suivants en tournant successivement le cadran dans les sens horaire, antihoraire, antihoraire puis horaire. Le non-respect de ces instructions rendra l’ouverture impossible.
Il composa les quatre premiers nombres.
— A quoi tu joues ? demanda Kevin.
Damien se retourna brusquement. Le jeune homme se tenait à l’entrée de la chambre. Par chance, la porte de la chambre l’empêchait de voir ce qu’il fabriquait. Il avait l’air sympa, mais c’était un adulte, et Damien avait la certitude qu’il exigerait que le contenu du coffre soit remis à la police ou à l’oncle Harvey.
— Je cherche un truc, répondit-il, d’une voix mal assurée.
— Viens m’aider à emballer tes affaires. Il faut que tu fasses le tri.
— J’arrive dans une minute. Je n’arrive pas à mettre la main sur les albums photos.
— Tu as besoin d’aide ?
— Non ! s’exclama-t-il, sans parvenir à maîtriser son émotion.
— Il nous reste vingt minutes. Je dois commencer le ramassage scolaire dans une heure.
Sur ces mots, il battit en retraite dans l’autre pièce. Damien composa le cinquième numéro. Un déclic se produisit. En déchiffrant la dernière ligne, il ne put s’empêcher de sourire.
(3) Pour des raisons de sécurité, retirez cet autocollant dès que le fonctionnement du mécanisme vous sera familier.
Damien tourna la poignée et la porte s’ouvrit. Les parois du coffre étaient épaisses, à tel point que l’espace disponible à l’intérieur était extrêmement réduit. Il contenait quatre piles de billets de banque et une petite enveloppe. Damien s’empara d’un sac-poubelle et plaça l’argent à l’intérieur. Puis il glissa l’enveloppe dans sa poche. Il imagina avec satisfaction la tête de Harvey lorsqu’il entrerait dans
la pièce et trouverait le coffre ouvert. Alors une idée diabolique lui vint à l’esprit. Il arracha l’autocollant et le posa à la place des billets, avec le roman de Zola. En guise de touche finale, pour être certain de rendre son beau-père fou de rage, il s’empara sur la table de nuit d’une photo encadrée le représentant et la glissa à l’intérieur. Lorsque Harvey parviendrait enfin à ouvrir le coffre, ce serait la première chose qu’il verrait. Il ferma la porte, donna un tour de cadran et replaça les outils dans leur position initiale.
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Faux semblant
Science FictionDamien, un adolescent comme d'autres n'a qu'un seul talent. Ce talent et son caractère va attirer d'illustres personnages le faisant connaître un monde bien plus vaste que ce qu'il pensait. Sa vie fera face à un tournant drastique lorsqu'il sera au...