Chapitre 5: Tout seul

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Rachel était pendue au téléphone. Son bureau était couvert de dossiers et de classeurs. Une cigarette se consumait dans le cendrier.
Elle raccrocha et tira une bouffée. Elle vit le regard de Damien se poser sur le panneau Interdit de fumer.

— Ils ne peuvent pas me mettre à la porte, dit-elle. Nous sommes déjà en sous-effectif. Tu en veux une ?

Damien était scandalisé qu’un adulte lui fasse une telle proposition.

— Je ne fume pas.

— C’est bien. Ces trucs-là filent le cancer, mais je préfère vous en offrir que de vous voir voler dans les magasins. Trouve-toi un endroit où t’asseoir. Mets-toi à l’aise.

Damien ôta la haute pile de papiers posée sur une chaise et s’installa.

— Alors, comment te sens-tu ?

— Je crois que le somnifère qu’ils m’ont donné m’a un peu assommé.

— Ça, ça va passer. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Comment te sens-tu par rapport à ce qui est arrivé à ta mère ?

Il haussa les épaules.

— Pas très bien.

— L’important, c’est de ne pas ruminer d’idées noires. Un psy va te recevoir, mais tu peux parler à tous les membres de l’équipe. Même à trois heures du matin.

— Comment est-elle morte ?

— D’après ce que je sais, ta mère prenait des analgésiques. Elle souffrait à la jambe.

— Elle n’était pas censée boire. Ça a quelque chose à voir avec ça, n’est-ce pas ?

— Le mélange a plongé ta mère dans un profond sommeil, et son cœur a flanché. Sache qu’elle n’a pas souffert, si ça peut te consoler.

— Qu’est-ce qu’on va faire de nous ?

— Je crois que vous n’avez pas de famille.

— Juste mon beau-père. Je l’appelle oncle Harvey.

— La police l’a contacté la nuit dernière.

— J’espère qu’ils l’ont jeté en prison.

Rachel sourit.

— Nous avons échangé quelques mots. Si je comprends bien, ce n’est pas le grand amour entre vous. Tu t’entends bien avec Inès ?

— Pas mal. On se dispute dix fois par jour, mais je crois qu'on est assez proche.

— Aux yeux de la loi, ta mère et ton beau-père étaient toujours mariés, même s’ils vivaient séparés. Harvey est le père de Inès. Il obtiendra automatiquement sa garde s’il en fait la demande.

— On peux pas vivre avec lui. C’est un incapable.

— Il ne souhaite pas que Inès soit placée dans une institution.

— Légalement, nous n’avons pas de recours, sauf en cas de maltraitance. Damien, il y a une chose qu’il faut que je te dise…

Il comprit aussitôt de quoi il retournait.

— Il ne veut pas de moi, c’est ça ?

— Je suis navrée.

Il fixa le sol et s’efforça de ne pas s’abandonner à la colère. Si finir dans un orphelinat était un sort peu enviable, être confié à la garde de Harvey était bien pire encore.
Rachel fit le tour du bureau et serra Damien dans ses bras.

— Je suis vraiment désolée.

Il se demandait pourquoi son beau-père tenait tant à obtenir la garde de sa demi-sœur.

— Combien de temps il nous reste avant d’être séparés ?

— Harvey viendra la chercher en fin de matinée.

— On ne peut vraiment pas passer quelques jours ensemble ?

— Ça peut être difficile à avaler, Damien, mais différer cette séparation ne ferait que rendre les choses plus difficiles. Vous aurez toujours la possibilité de vous rendre visite.

— Il est incapable de s’occuper d’elle. Maman faisait tout à la maison. Inès a peur du noir. Elle ne peut pas dormir sans son doudou. Harvey ne s’en sortira pas.

Damien la serra dans ses bras. Elle avait toujours été à ses côtés, et il réalisait à quel point elle allait lui manquer.
Ayant retrouvé son calme, elle prit une douche puis, comme elle était incapable d’avaler quoi que ce soit, ils s’assirent dans la salle de jeux. Le centre était désert. Les autres pensionnaires étaient partis
pour l’école.
Ces dernières minutes passées ensemble furent douloureuses.
Damien chercha vainement des paroles propres à soutenir le moral de Inès et à rendre la séparation plus facile. Mais elle gardait les yeux rivés au sol, martelant les pieds de sa chaise du talon de ses Nike.
Harvey fit irruption dans la pièce, un cornet de glace à la main.
Inès prétendit qu’elle n’avait pas faim, mais finit par l’accepter. Sa gorge était serrée. Damien, lui, faisait des efforts démesurés pour ne pas fondre en larmes devant son beau-père.

— Tiens, dit Harvey en lui tendant un morceau de papier. C’est mon numéro, au cas où tu voudrais revoir Inès. Il faut que je vide la maison. L’assistante sociale m’a dit qu’ils vont t’emmener là-bas. T’as intérêt à ramasser toutes tes affaires. Tout ce qui sera encore là vendredi passera à la poubelle.

Damien était abasourdi. Comment pouvait-il se montrer aussi cruel en un tel moment ?

— C’est toi qui as amené de l’alcool à la maison, murmura-t-il. Tu l’as tuée.

— Personne ne l’a forcée à boire. Pendant que j’y pense, ne va pas t'imaginer que tu verras Inès très souvent.

Damien était sur le point d’exploser.

— Quand je serai grand, je te tuerai. Si tes pas en prison d'ici là.

Harvey éclata de rire.

— Hou, je suis mort de trouille, Damien. Attends un peu que les garçons du centre t’apprennent les bonnes manières. Il est grand temps que quelqu’un s’en charge.

Sur ces mots, il saisit la main de Inès et la traîna vers le parking de l’orphelinat.

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