Faux semblant

Chapitre 1: Le clou de trop...

Damien Dell détestait les cours de chimie. Avant d'entrer au lycée, il s'imaginait que cette discipline consistait à manier des tubes à essai afin de provoquer des jets de gaz et des mini-explosions. En vrai, il passait chaque leçon, assis sur une chaise, à recopier des formules que M.Abel écrivait sur le tableau blanc, quarante trois ans après l'invention de la photocopieuses.
C'était l'avant-dernier cours de la journée. Dehors, la pluie tombait et le jour commençait à s'estomper. Damien somnolait, le laboratoire était surchauffé, et il avait passé une grande partie de la nuit précédente à jouer à Red Dead Redemption.
Roxane Jennin étaient assises à ses côtés. Les professeurs adoraient son caractère volontaire, sont uniformes impeccables et ses faux ongles de pute aussi long que des dagues. Elle prenait ses notes avec trois stylos de couleurs différentes et couvrait ses cahiers pour les garder en bon état. Mais dès qu'ils avaient le dos tourné, elle se comportait comme une vraie garce. Damien la haïssait. Elle n'arrêtait pas de se moquer ouvertement de l'aspect physique de sa mère.

-La mère de Damien est si grosse qu'elle doit beurrer les bords de sa baignoire pour ne pas rester coincée.

Les filles de sa bande éclatèrent de rire, comme à leur habitude

-Hier, j'ai fait un footing de huit kilomètre, dit Roxane. Deux fois le tour de la mère à Damien

Ce dernier leva la tête de son cahier et plongea ses yeux marrons dans ceux de la jeune fille.

-Cette vanne est si drôle et original... Elle doit dépasser de loin ton QI, c'est vraiment toi qui la trouvée Roxane ?

Damien était l'un des élèves les plus bagarreurs du lycée. Si un garçon s'était permis de dire quoi que ce soit sur sa mère, il lui aurait défigurer son joli minois. Mais comment devait-il réagir devant une fille ? Il prit la décision de s'asseoir aussi loin que possible de cette vipère dès le cours suivant.

-Essaie de te mettre à notre place, Damien. Ta mère est un monstre.

Damien était à bout de nerfs. Il se dressa d'un bond, si brutalement qu'il renversa son tabouret.

-C'est quoi ton problème, Roxane ? cria-t-il. Un silence pesant régnait dans le laboratoire. Tous les regards étaient braqués sur lui.

-Qu'est-ce qui ne va pas, Damien ? demanda Roxane, tout sourire. Tu as perdu ton sens de l'humour ?

-Monsieur Dell, veuillez-vous rasseoir et vous remettre au travail immédiatement, ordonna M.Abel

-Si tu ajoutes quoi que ce soit, Roxane, je te... Damien n'avait jamais brillé par sa répartie.

Un gloussement stupide jaillit de la gorge de la jeune fille.

-Qu'est-ce que tu vas faire, Damien ? Rentrer à la maison pour faire un gros câlin à maman baleine ?

Damien voulait voir ce sourire stupide disparaître du visage de Roxane. Il la saisit par le col, la souleva de son tabouret, la plaqua face contre le mur puis la fit pivoter pour lui dire droit dans les yeux ce qu'il pensait de son attitude. Alors, il se figea. Un flot de sang ruisselait sur le visage de la jeune fille, jaillissant d'une longue coupure à la joue. Puis il aperçut le clou rouillé qui dépassait du mur.
Terrorisé, il fit un pas en arrière. Roxane porta une main à sa joue, puis se mit à hurler à pleins poumons.

-Damien Dell ! s'exclama M.Abel. Cette fois, tu as été trop loin !

Les élèves présents dans la salle murmuraient. Damien n'eut pas le courage d'affronter l'acte qu'il venait de commettre. Personne ne croirait qu'il s'agissait d'un accident. Il se précipita vers la porte.
M.Abel le retint par le bras.

-Eh, tu vas où, comme ça !?

-Poussez-vous ! cria Damien en lui administrant un violent coup d'épaule.

Stupéfait et choqué, l'homme chancela vers l'arrière en battant vainement des bras.
Damien détala dans le couloir. Les grilles du lycée étaient closes.
Il les franchit d'un bond et quitta l'établissement.

Il marchait sous la brume comme un robot. Sa colère avait peu à peu cédé la place à l'anxiété. Jamais il ne s'était fourré dans une situation aussi dramatique. Son quinzième anniversaire approchait, et il se demandait s'il vivrait assez longtemps pour le célébrer. Il allait être exclu du collège, car ce qu'il avait commis était impardonnable. Mais surtout, il était certain que sa mère allait l'étrangler. Lorsqu'il atteignit le petit parc de jeux situé près de chez lui, il sentit la nausée le gagner. Il consulta sa montre. Il était trop tôt pour rentrer à la maison sans risque d'éveiller les soupçons. Il n'avait pas un sou en poche pour s'offrir un coca à l'épicerie du coin. Il n'avait d'autre solution que de se réfugier dans le parc et se mettre à l'abri sous le tunnel en béton. Celui-ci était plus étroit que dans ses souvenirs. Les parois étaient recouvertes de tags, et il exhalait une révoltante odeur d'urine canine.
Damien s'en moquait. Il avait le sentiment de mériter ce séjour dans une cachette glacée et malodorante. Il frotta ses mains pour les réchauffer. Alors, des images du passé lui revinrent en mémoire. Il revit le visage de sa mère, mince, éclairé d'un sourire, apparaissant à l'extrémité du tunnel. Je vais te manger, Damien, grondait-elle. Les mots résonnaient sous la voûte de béton. C'était chouette.

-Je ne suis qu'un pauvre minable, murmura Damien.

Ses paroles résonnèrent en écho. Il remonta la fermeture éclair de son blouson et y enfouit son visage. Une heure plus tard, Damien parvint à la conclusion que deux possibilités s'offraient à lui : il devait se résoudre à croupir dans ce tunnel jusqu'à la fin de ses jours, ou rentrer à la maison pour affronter la fureur de sa mère.