Chapitre Dix

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Quelques heures plus tard, Amia traversait les bois en jetant de rapides et nerveux regards en arrière, s'attendant presque à être suivie, sans oublier de lever de temps à autre les yeux vers le ciel, au cas où Sonya aurait envoyé Jasper à ses trousses. Ce n'aurait pas été la première fois, après tout. 

Lorsqu'elle avait rejoint les autres après le départ de Noiraud, complètement perdue dans ses pensées et les mains vides, ils s'étaient demandés ce qu'elle avait bien pu faire pendant tout ce temps. Même Lewis n'avait pas paru convaincue par son excuse : elle était tombée sur des policiers qui la recherchaient suite à sa disparition signalée par ses parents, et elle avait dû se cacher dans la bibliothèque le temps que les choses se tassent. Ce n'était pas vraiment un mensonge, puisque avant que le tourbillon de ténèbres ne l'emporte elle avait pu entendre les propos du visiteur de la bibliothécaire et découvert que Justice White avait lancé une alerte disparition, ce qui expliquait pourquoi la femme avait dit que son visage lui était familier. Elle avait dû appeler la gendarmerie locale, ce qui pourrait expliquer la catastrophe qui avait bien failli lui tomber dessus. Qu'aurait-elle pu dire, si la police l'avait embarquée ?

Je comprends mieux maintenant pourquoi Noiraud ne voulait pas que je donne mon véritable nom : il devait être au courant !

Comment ? Elle n'en avait pas la moindre idée, comme pour beaucoup de choses lorsqu'il s'agissait du jeune Ténébreux avec lequel elle avait bien été obligée de s'allier. Il était très doué pour s'entourer de mystères, et encore plus pour cacher ses secrets. Il ne se résignait jamais à dévoiler toute l'étendue de son savoir, dont Amia avait décidément bien du mal à cerner les limites. Comment diable pouvait-il savoir ce genre de choses ? Qui avait-il espionné pour cela ? Suivait-il simplement l'actualité ? Elle en doutait. Pour ce qu'elle en savait, ce n'était pas du tout son genre, et puis, ç'aurait tout de même été une sacrée coïncidence. Non, il y avait autre chose. Elle commençait peu à peu à comprendre pourquoi Aristote les avait mis en garde contre Noiraud avant de mourir. Il n'était peut-être pas aussi cruel qu'il voulait bien le faire croire, mais il était intelligent. Redoutablement intelligent, même. Et il avait des pouvoirs très puissants. Certes, Amia avait pu le constater, il n'était pas au meilleur de sa forme ces derniers temps. Mais ça ne l'avait pas empêché d'invoquer les ténèbres à plusieurs reprises en un laps de temps relativement court.

Bref, pour en revenir à ses amis, ceux-ci avaient eu l'air de sentir qu'elle leur mentait. Jackson, Lewis et Jewel s'étaient peut-être contentés de froncer les sourcils sans mot dire, mais Thalia et Sonya, elles, avaient lourdement insisté pour connaître la vérité, jusqu'à sous-entendre une éventuelle trahison de sa part. Il n'y avait que dans sa chambre où Amia avait réussi à avoir un semblant de paix. Mentir ainsi lui faisait mal, mais elle n'avait pas le choix. Les autres ne comprendraient pas ; comment l'auraient-ils pu ? Ils avaient toujours vécu dans l'idée que la Chronosphère était essentiellement à leur survie, à part peut-être Sonya. Comment leur faire comprendre qu'elle devait être détruite ? Que s'était le seul moyen de vaincre les Ténébreux une bonne fois pour toute ? Et, surtout, que pour ce faire, il était parfois nécessaire de s'allier avec des gens comme Noiraud ? C'était impossible, et elle ne le savait que trop bien. Aussi, garder le secret était la meilleure, et même la seule, solution, même si cela dressait une barrière entre elle et ses amis, une barrière de méfiance qui allait en se renforçant et qui finirait par les séparer pour toujours.

Mais que pouvait-elle y faire ? 

Je dois sauver le monde. Quoi qu'il m'en coûte.

Pendant qu'elle réfléchissait, elle était arrivée arrivée dans la clairière jusqu'à laquelle Aristote l'avait conduite il y avait de cela ce qui lui semblait être une éternité, alors que ces événements n'avaient eu lieu que la veille. Il y faisait encore plus sombre que la dernière fois où elle était venue, peut-être parce que c'était la nouvelle lune. Cette fois, Noiraud ne prit même pas la peine de se cacher pour surgir mystérieusement comme il en avait le secret ; il était simplement adossé au même tronc d'arbre qu'auparavant, et semblait l'attendre avec une certaine impatience. Aristote était assis à côté de lui, et arborait un air lasse qu'Amia ne lui avait encore jamais vu. En la voyant arriver, le Ténébreux lui adressa son sourire en coin le plus exaspérant tout en lançant d'un ton ironique :

AMIA WHITE - 2. L'île de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant