4 - Hallucination

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Mon réveil sonne. J'ai envie de le jeter à travers la pièce, mais j'en ai déjà explosé deux contre le mur comme ça, alors je me contrôle. "C'est le troisième et dernier" m'avait dit ma mère.
Je me suis préparée le plus lentement possible, redoutant le moment où je devrais croiser Ismael dans les couloirs.

- T'es en retard Hay ! Grouille ton petit cul de chinoise !

- Merci Alex pour tes beaux compliments, ça fait toujours plaisir ! Et pour préciser, on est japonais.

- Le sarcasme ça te va vraiment bien, continue comme ça.

Je suis arrivée face au lycée à l'avance, contrairement aux prévisions d'Alex. En traversant les couloirs aussi vides que la maturité d'un mec de 16 ans, j'ai croisé Ismael. Et qu'est-ce que j'ai fait ? Je l'ai poussé contre les casiers sans qu'il ne s'y attende. Il s'est cogné la tête contre un cadenas et a grogné en me dévisageant.

- Quoi ? crâchai-je, une lesbienne t'a touché ! Mon dieu ! Tu vas devoir bien te laver ce soir, il parait que c'est contagieux...

- La ferme ! hurle-t-il.

Il s'est avancé les poings fermés, prêt à me frapper.

- Tu n'en serais pas capable, dis-je le plus calmement possible mais en reculant quand même.

Il ne doit surtout pas entendre ma voix trembler. Je regarde les muscles de ses bras et de sa mâchoire se contracter, tout en priant pour qu'il se contrôle. Je tiens à rester en vie encore quelques décennies. Au bout d'un moment, ses poings se détendent.

- Écoute moi Ismael...

- Pourquoi ? On n'est pas faits pour être amis, c'est tout, ça s'arrête là.

- Mais... Je suis heureuse comme ça ! Mais tu as raison. On n'est pas faits pour être amis. Un vrai pote m'aurait soutenu, peu importe mes choix.

- Tu es contre-nature. Tu ne devrais pas faire ça, ce n'est pas pour rien que les hommes et les femmes sont attirés entre eux, c'est la normalité...

- La normalité n'existe pas espèce d'idiot !

Je contrôle beaucoup moins ma rage que lui, je l'avoue. Je ne m'aime pas ainsi, comme une sauvage assoiffée de violence. Je me suis postée face à lui, ou plutôt face à son torse, pile dans mon champs de vision. Il doit faire deux têtes de plus que moi, mais je m'en contre-fiche. Ma paume de main a giflé sa joue d'un coup, avant même que je n'ai le temps de m'en rendre compte. Il m'a repoussée avec une force monumentale contre le mur. À quoi je joue ? Je gifle mon meilleur ami. Enfin, ex-meilleur ami. La sonnerie a enfin résonné dans les vieux couloirs de l'établissement et je suis partie en courant vers la salle d'histoire, où je ne me suis pas assise à ma place habituelle, qui était à côté d'Ismael, mais le plus loin possible de lui, c'est-à-dire au fond de la classe. J'ai renversé ses cahiers au sol lorsque je suis passée devant sa table. Il n'a pas réagi.

Le reste de la matinée s'est passé à peu près normalement, si on exclut le fait que je me suis rongée les ongles jusqu'à l'os pour rester calme. Dès la sonnerie annonçant la pause du midi a retenti, j'ai couru aux toilettes. La salle est dotée d'un grand miroir, que j'ai évité en tournant la tête. Je me suis enfermée dans une cabine et j'ai fondu en larmes. Mon souffle s'est fait saccadé. Je serrais ma gorge de mes petites mains, tentant d'attraper le plus d'air possible à chaque inhalation. J'ai fini par sortir ma boite de calmants et m'en suis enfilé six d'un coup. Tout s'est calmé, même le temps. L'amour peut ralentir le temps, mais les médicaments aussi. Le tic tac des horloges qui tournaient dans tous les sens dans ma tête se sont presque arrêtés. Je ne réfléchissais plus vraiment, comme si même mes pensées avaient été ralenties.
Je suis sortie de la cabine, presque aussi défoncée que si je venais de fumer un joint.

- Pourquoi t'as fait ça Hay ? Dit soudain une voix dans ma tête.

C'est une voix très familière.

- Tu crois que ça va t'aider, de tout oublier quelques instants ? Râle-t-elle.

C'est elle. Ariana. Je me retourne, personne. Je suis seule dans les toilettes.

- Franchement, je te croyais plus intelligente. Ça ne va te mener nulle part !

-Désolé.

J'ai de nouveau fondu en larmes.

- Je suis désolée, ai-je dit à voix haute, mais... je n'y arrive pas. Ce n'est pas seulement Ismael... C'est difficile de se sentir si différente. Je n'ai rien demandé, j'aurais pu être comme tout le monde, embrasser un mec, tomber amoureuse, avoir une stupide histoire d'amour la plus cliché possible, comme dans les films Américains, puis avoir le coeur brisé et m'appuyer sur un nouveau mec qui m'aidera à me sentir bien. Mais non, il a fallu que tout soit compliqué chez moi. Je réfléchis jusqu'à en être malade, puis je panique et me shoot aux médicaments, puis je rencontre une superbe fille, avec qui je ne peux pas avoir une seule conversation normale, parce que je ne suis pas normale. J'ai peur de l'effrayer en allant trop vite, mais je me dis pourquoi attendre si tu sais que c'est la bonne ? Je suis folle.

- La différence est toujours la solution la plus originale. Moi je t'aime comme tu es.

Cette fois, la voix n'était plus dans ma tête. J'ai ouvert les yeux. Une fille aux longs cheveux clairs et au regard brillant m'observait, les yeux pleins de compassion. Ariana.

- Merde... désolé... balbutiai-je, tu n'aurais pas dû entendre ça...

Elle m'a pris la main. Les battements de mon coeur se sont calmés.

- Notre relation est particulière, dit-elle, et rapide, mais ça prouve notre compréhension beaucoup moins lente que la plupart des gens, et n'est-ce pas une bonne chose ?

- Bien sûr que si !

Après cet épisode émotionnel, on est allées manger comme si tout était normal. Malgré ma peur du regard des gens, j'ai gardé ma main dans la sienne presque tout le temps. J'ai dû la quitter pour aller en cours le reste de l'après midi, mais je l'ai retrouvée à la sortie. On est de nouveau allées au Starbucks, qui, je le sens, allait devenir notre sorte d'endroit à nous. Ce n'est pas ce que tous les couples normaux ont ?

- Tu as souvent des hallucinations ? Demande Ariana en sirotant son Thé Vert.

- Seulement quand j'abuse de mes calmants.

- Pourquoi tu en prends ?

- J'ai constamment de l'anxiété, même lorsqu'il ne se passe absolument rien, je stresse.

- Et quelque chose te dérangeait aujourd'hui.

Ce n'était pas une question mais plutôt une conclusion.

- Un ami n'aime pas trop les choix que je fais.

- Tu parles d'aimer une fille ?

Elle fronce les sourcils.

- Mais je préfère ne pas en parler.

Elle hoche la tête de haut en bas, tout de même perturbée.

- Au fait, c'était beau ce que tu avais dit. " La différence est toujours la solution la plus originale ". J'aime bien. Je t'aime aussi comme tu es. Même si j'ai l'impression que tu me connais plus que je ne te connais.

- Tu veux me connaitre plus ?

- Oui.

- Ok, demain, huit heure du matin, devant le lycée, j'ai quelque chose à te montrer.

- J'y serais, compte sur moi.

ArianaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant