Alors que vêtu d'un simple caleçon, je fais la cuisine tout en me déhanchant sur mes musiques préférées, un main douce frappe à la porte. J'ouvre, sachant déjà que c'est ma sœur.

  « Alors ma belle ça v-- »

  Pas le temps de terminer ma phrase. Alyah vient de se jeter dans mes bras en pleures.

  Choqué, je ferme la porte et éteint le feu de la gazinière discrètement. Combien de temps ça fait que je ne l'ai pas vu pleurer ?

  « C'est-c'est... Éloane il-il... », essaye de dire Alyah en sanglotant.

  Je pose ma main sur sa tête et caresse ses cheveux. Éloane est son meilleur ami d'enfance. Il a dû arriver quelque chose de grave.

  « Éloane est à l'hôpital il a eu un accident et ses blessures sont graves ! crie-t-elle le visage inondé par les larmes.

  – Chut, ma belle... », je chuchote.

  Je m'assieds avec ma sœur sur le lit et la serre contre moi tout en lui caressant la tête.

  Pendant de longues minutes nous restons ainsi. Alyah pleure, vide toutes les larmes qu'elle a accumulé durant toutes les années où elle n'a pas pleuré, et moi, les yeux tombant, je la rassure et la soutient, comme le fait un grand frère.

  Après un moment, une fois que ma sœur n'a plus de larme à faire couler et qu'elle s'est calmée, je lui prépare un thé pour qu'elle puisse se détendre, et je continue la cuisine. Elle me regarde en silence.

  « Comment tu fais ? me demande-t-elle.

  – Quoi donc ? je lui répond.

  – Pour être tout le temps si désintéressé de tout, si indifférent... On dirait que rien ne t'atteint... »

  En restant concentré sur ma cuisine et donc sans la regarder, je lui répond,

  « Tu sais, je ne suis pas tout le temps désintéressé. Et je ne suis pas non plus indifférent à tout. Simplement à mes yeux, beaucoup de choses ne sont pas aussi importantes ou aussi dramatiques que ce que les gens imaginent. Je vis ma vie, simplement, en essayant au maximum de ne pas avoir de problème. En tout cas, sache que si c'était toi qui avait été dans ce lit d'hôpital, je serai tout aussi bouleversé que toi. »

  Sur ces mots honnêtes, je pose une tasse de thé devant ma sœur qui l'entoure de ses doigts pour se réchauffer.

  « Je vois... » dit-elle en hochant la tête.

  Je coupe le gaz, sors deux assiettes et des couverts, et dépose le riz et les légumes que je viens de cuisiner dans chacune des assiettes. Demain je n'aurai rien a manger. Il me reste juste un fond de pâtes dans mon sac de papier. Encore une fois, je vais devoir demander à Mael ou Léna de me dépanner.

  « Au fait, reprend Alyah, c'est quoi tous ces pansements et croutes sur ton visage ? »

  Elle a les sourcils froncés. Elle est inquiète.

  « Oh ça... »

  Je me touche le visage instinctivement, sans raison précise. Je lui dis ou pas ? Après tout, elle est grande.

  « Je me suis fait casser la gueule par un mec dans la rue... Il était jaloux parce que j'ai couché avec une fille. »

  Je pose l'une des assiettes accompagnée d'un couteau et d'une fourchette devant elle, fait de même pour moi, et m'assieds.

  « Attends, attends, me dit-elle, tu as couché avec une fille ?? »

  Je soupire. Pourquoi ça paraît si incroyable à tout le monde ?

  « Oui, oui... Ça m'arrive. »

  Elle ricane. Au moins je lui ai redonné le sourire.

  « Et tu t'es fais cassé la gueule pour ça ?! s'exclame-t-elle.

  – Oui, enfin en gros oui.

  – T'es vraiment pas doué ! » dit-elle en riant.

  Elle n'a pas faux. Il y a plusieurs milliards de filles sur Terre, et moi je choisis celle qui a un ex dangereux.

  Nous terminons la soirée en discutant comme à notre habitude de tout et de rien. C'est pour ça qu'Alyah est venu. Pour oublier quelques instants.

***

  Alyah a finalement dormi à l'appartement. Elle s'est simplement levée plus tôt pour récupérer des affaires à la maison avant d'aller au lycée. Quant à moi, j'y suis allé comme à mon habitude : simplement, et avec mes chaussures trouées.

  Ce soir, je fais le chemin avec Mael. Tout en m'excusant un millier de fois, je lui ai encore expliqué que je n'avais plus rien a bouffer et il m'a alors proposé de manger chez lui.

  Nous prenons donc le bus pendant quelques instants. Lorsque je m'accroche à la barre de fer pour ne pas tomber lors du freinage, je me met à observer chaque voyageur. C'est quelque chose que je ne peux m'empêcher de faire. Alors, quand Mael me parle de ses amours, je ne l'écoute que d'une oreille et examine les voyageurs en leur inventant une vie.

  En face de moi, une femme. Elle a un t-shirt rose sous une veste noire, qui lui moule ses bourrelets. Ses cheveux noirs également sont redressés en chignon et un jean large noir cache ses baskets. Elle tient de sa main gauche un tout petit sac à main ridicule et de sa main droite, la main d'un gamin d'environ 3 ans. Ce petit garçon tient fermement son doudou dans son autre main. Il perd son regard dans le vide, trop intimidé par les autres gens. J'imagine que cette femme est sa mère et qu'il doit lui donner du fil à retordre, en vue de ses traits fatigués.

  À ma droite, assis, un homme. Lui, il a la trentaine. Des traits sévères et il est coincé dans un costume impeccablement repassé. Ses cheveux bruns plaqués avec du gel sont coupés court. Il est grand et impressionnant. Quelqu'un d'investi dans sa vie professionnelle j'imagine.

  À côté de lui, il y a un adolescent qui doit rentrer chez lui après le collège. Jean troué, baskets, sweat, écouteurs enfoncés dans les oreilles, mains dans les poches... Tout ce qu'il y a de plus banal pour un ado de son âge.

  À ma gauche, sur deux sièges l'un à côté de l'autre, il y a deux grands mères qui discutent. L'une est blonde et l'autre rousse. Elles ont coupé court leurs cheveux bouclés. Chacune a une paire de lunette sur le nez et des vêtements fleuris. Elle sont très élégantes.

  À côté de ces vieilles dames, de l'autre côté de l'allée du bus, il y a une jeune femme. Ses cheveux foncés sont redressés en couette haute et elle porte des vêtements de footballeuse. Elle a avec elle, un gros sac de sport.

  « Hey Naï, m'appelle mon ami doucement, tu m'écoutes ?

  – Oui oui, je répond automatiquement.

  – Alors je disais quoi ? me demande-t-il.

  – Euh...

  – Bah pas grave, aller on descend. »

  Je le suis alors et nous sortons du bus. Le contraste entre la chaleur humaine mélangée à celle du chauffage du bus et le froid de l'hiver est violent.

  Nous marchons sous le soleil couchant en direction de la maison de Mael, tout en continuant de discuter, une fois de plus, des filles. Cette conversation ne m'intéresse pas vraiment, mais elle occupe.

Alors on danseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant