SEPT

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Première et dernière scène

Taehyung attend. Jungkook attend. Leurs regards se croisent un instant, comme toujours. Et rien n'est retrouvé, rien ne signifie rien. Les mains du premier sont au dessus du clavier. Celles du deuxième sont au fond de ses poches. Yoongi est assis derrière le bureau, la lampe allumée car l'orage est sombre, les yeux fatigués. Il sait que ce sera une longue journée.

C'était une longue nuit.

Est-ce que vous voulez vraiment savoir ? Ecouter la pluie serait bien plus facile, écouter les flaques. Jungkook n'aime pas la pluie, Jungkook n'aime pas le ciel. Elle aimait le soleil, elle. Taehyung aussi. Elle aimait beaucoup de choses que Taehyung aime. Elle aimait Matisse, elle aimait les photographies. Taehyung aussi. Jungkook trouvait toujours qu'il y avait trop de couleurs. Jungkook n'aime que le jaune, pas trop foncé, pas trop clair. Jungkook y pense, Jungkook pense encore. Beaucoup trop. Toujours trop.

Il s'est enfermé en lui-même. Et tout le monde voudrait savoir. Pourquoi il y avait son nom écrit sur le mur, en lettres vermeilles, à peine déchiffrables. Pourquoi elle l'avait appelé trente-quatre fois précisément ce soir-là. Pourquoi les petites vieilles à leur fenêtre l'avaient vu sortir aussi tôt de l'immeuble, l'immeuble où elle était morte. Où elle était en train de mourir.

Pourquoi voudraient-ils savoir ? Ils savent déjà tout. Ils ne comprennent rien mais ils comprennent tout, pas vrai ? Taehyung pourrait écrire le texte sans avoir à l'entendre. Pas vrai ? Tout est déjà joué. Peu importe ce qu'il dira, ils entendront ce qu'ils ont déjà entendu. C'est toujours la même histoire, toujours les mêmes crimes sans nom, les mêmes folies trop bien cachées.

Et ils veulent quand même savoir ?

C'est absurde. Comme le monde. Et le soleil qui n'aurait pas dû se lever. Le soleil bleu et le soleil beige, en deux images qu'on ne peut superposer. C'est absurde.

Yoongi s'allume une cigarette. Il a un briquet bleu pétrole qui tâche le décor. C'est la même couleur, sur le tableau. La même couleur et Jungkook ferme les yeux encore. Et Yoongi fait son travail. C'est comme ça. Ça a toujours été comme ça.

"À quelle heure êtes-vous arrivé à l'appartement ?"

Plus de soleil, plus vraiment d'espoir. Des lampadaires pâles. Des bruits qui courent, du verre brisé.

"Vingt-deux heures."

Ils veulent savoir. Ils veulent lui faire revivre cette foutue soirée de la veille. Mais c'est pas la peine, c'est pas la peine bon dieu. Les regards entrecroisés se coupent à nouveau. Toi, tu veux pas savoir, n'est-ce pas ? Taehyung baisse les yeux. On dirait qu'il a honte.

Un vélo rouge et vert contre un mur. Quelle heure est-il ?

Mais il n'a pas honte, non. C'est autre chose. Autre chose qui n'a pas de nom, et il ne faut pas en chercher. Il vaut mieux ranger ces sentiments-là, dans des cartons qu'on jette à la mer, à marée haute.

Toi, tu veux pas savoir. Tu veux pas savoir, tu veux monter le son, et tu ne peux pas. Et le nom de cette chanson, toujours perdu, toujours trop loin. Pourtant les gens meurent tout le temps, pas vrai ? Les gens s'embrassent tout le temps aussi, ils crient, ils rient, ils vivent sans se regarder.

"Pourquoi si tard ?"

- Elle ne voulait pas que j'arrive trop tôt.

- Que vous a-t-elle dit au téléphone ?"

Quelques gouttes sur le carreau. Taehyung tape très vite sur son clavier, et puis plus du tout.

"Elle n'a rien dit."

Il a un drôle d'air, Jungkook. Et Yoongi ne comprend pas. C'est trop lent, c'est si lent, le temps s'embourbe, s'emmêle avec le temps lui-même. Et la vérité fuit, s'enfuit, et personne ne la rattrape. Tout le monde s'en fout.

Entracte

La mort s'impatiente.

Jungkook et Taehyung ont presque compris.

Une soif de vengeance et de gloire.

Il se passe quelque chose. 

Le silence s'est enfui - Taekook Où les histoires vivent. Découvrez maintenant